Le Secrétariat d’Etat aux Migrations (SEM) s'attend à ce que le nombre de demandes d’asile en 2023 soit supérieur à la moyenne, avec environ 27'000 nouvelles demandes, voire 40'000 selon l’évolution géopolitique. Et Chiasso, principale porte d'entrée en Suisse de ces migrants provenant pour la plupart de la Méditerranée, croule déjà sous cet afflux massif.
Alors que son centre fédéral d'enregistrement ne doit accueillir en temps normal que 350 requérants d'asile, selon la commune, leur nombre oscille actuellement entre 550 et 600. Beaucoup trop, estime-t-on dans la commune de 7800 habitants.
Le SEM rappelle de son côté qu'il dispose au Tessin d’un maximum convenu sur le plan politique de 650 places, réparties sur les trois communes de Chiasso, Balerna et Novazzano.
Le Conseil fédéral interpellé
Mais ce sentiment d’exaspération est partagé au niveau du canton. La députation aux Chambres ainsi que le Gouvernement cantonal viennent d'interpeller le Conseil fédéral.
Le nombre de migrants actuellement présents à Chiasso pose problème, mais aussi et surtout le fait que certains migrants donnent du fil à retordre aux forces de l’ordre et mettent les nerfs des habitants à rude épreuve. La forte consommation d’alcool et d’autres substances entraîne notamment des comportements extrêmement agressifs. Entre eux, mais également à l’égard des habitants. Sans compter les vols dans les commerces ou les braquages de voitures. Et ce, alors que Chiasso se présente comme une bourgade paisible avec une tradition d'accueil très développée.
La situation est très grave, déplore la gérante du Bar Indipendenza Maria José Soler, qui doit appeler la police plusieurs fois par jour. "Nous sommes au bord de la place principale. Une bagarre s'est déroulée juste ici. Un homme à terre semblait mort. Son assaillant est entré dans mon bar et voulait ouvrir la caisse", raconte-t-elle mardi au micro de La Matinale. Et selon elle, c'est comme ça tous les jours. "Un autre a cassé une bouteille de vin et menacé une personne de l'égorger devant mes clients à la terrasse. Avant, avec les précédentes vagues de requérants, comme celle des Afghans notamment, nous n'avions pas tous ces problèmes apportés par certains Maghrébins."
Dialogue de sourds
Entre le canton du Tessin et le Secrétariat d’Etat aux Migrations, on assiste à une sorte de dialogue de sourds. Interpellé par la RTS, le SEM indique que seule une minorité des requérants hébergés dans les structures fédérales pose problème. Les autres individus problématiques feraient la navette entre la Lombardie et le Tessin.
A Chiasso, cette réponse fait bondir la police communale, à savoir que l’Italie ne reprend plus de migrants et qu’elle filtre rigoureusement les arrivées.
Le SEM précise aussi que les requérants les plus problématiques sont transférés aux Verrières, dans le canton de Neuchâtel. Or, seulement sept personnes y séjournent actuellement, sur les vingt places disponibles.
Des réseaux de passeurs en augmentation
Cette pression migratoire profite également aux réseaux de passeurs, qui sont de plus en plus nombreux. L'an dernier, 155 passeurs présumés ont été arrêtés au Tessin, un record. Et cette année, ils sont déjà 40.
Interrogé lundi dans le 19h30, Luca Bernasconi, chef d'état-major à la douane tessinoise, relève que "la Suisse est un passage privilégié entre le nord et le sud de l’Europe": les migrants utilisent la Suisse comme pays de transit, pas comme destination finale. Et le passage par le Tessin est privilégié, car il existe de nombreuses douanes avec l'Italie, via des routes principales et secondaires, ainsi que l'autoroute.
Parmi les passeurs, on trouve tant des passeurs occasionnels que des passeurs organisés en bande, souvent eux-mêmes issus de la migration. Récemment, la police tessinoise a démantelé une filière irakienne qui transportait en voiture des migrants de l’Italie vers l'Allemagne, via la Suisse.
"Nous avons découvert qu'il existait un refuge" au Tessin, un endroit qui permettait aux migrants de passer la nuit et qui permettait aussi un échange entre passeurs", précise Gianluca Calà Lesina, commissaire de police au Tessin.
Les migrants premières victimes
Et les migrants sont souvent les premières victimes de ce trafic. Parfois, ils doivent débourser des milliers d’euros pour traverser la Suisse dans des conditions inhumaines. L’an dernier, la police nidwaldienne a ainsi retrouvé 23 hommes au bord de l’asphyxie entassés à l'arrière d'une petite camionnette.
Claire Potaux-Vésy, suppléante de la cheffe de mission à l'Organisation internationale pour les migrations, relève que les migrants risquent aussi de se faire exploiter: "Il peut arriver que les réseaux criminels utilisent la situation de vulnérabilité des migrants qui, en général, ne savent pas où ils se trouvent, ne parlent pas la langue locale et sont conscients de leur situation irrégulière." Comme ils ont peur des autorités locales, certains en profitent pour les "exploiter de façon sexuelle ou pour leur force de travail".
Pour tenter de démanteler ces réseaux, la Suisse collabore avec ses voisins européens, mais la tâche est difficile, car les passeurs font preuve de flexibilité pour passer entre les mailles du filet. Des politiciens allemands ont également accusé récemment la Suisse de "laxisme migratoire", contribuant à l'accélération des arrivées de migrants depuis le début de l'année.
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Sujets radio et TV: Nicole della Pietra et Julien Guillaume
Adaptation web: fgn/boi