C'est surtout l'ampleur de ces essais cliniques qui était insoupçonnée jusqu'ici. Le canton a mandaté un groupe d'historiens pour faire la lumière sur les pratiques médicales de l'époque. Leurs travaux ont débuté en avril dernier et vont se poursuivre jusqu'à fin 2018.
Au moins 1600 patients concernés
Au cœur de leur travail: une plongée dans les archives personnelles du Dr. Roland Kuhn, décédé en 2005. Son nom est connu dans le milieu de la psychiatrie puisque c'est lui qui a développé les premiers antidépresseurs. Il a testé ces médicaments sur ses patients durant des décennies à la clinique de Münsterlingen. On articule le chiffre de 1600 personnes concernées au moins. Les recherches historiques doivent notamment déterminer si les patients étaient volontaires ou non.
Mis bout à bout, les documents à disposition font la longueur d'une piscine olympique de 50 mètres. "Le matériel est très riche. Roland Kuhn a gardé toutes les lettres, tous les manuscrits de ses essais et publications, de ses conférences" souligne Marietta Meier de l'Université de Zurich, responsable de ces recherches. Les historiens espèrent aussi avoir accès aux archives de l'industrie pharmaceutique. Pour l'heure, seul Novartis leur a ouvert ses portes.
La clinique n'a pas été la seule en Suisse à tester des médicaments non homologués sur des patients. C'est une pratique courante, mais qui est aujourd'hui strictement réglementée. L'éthique médicale n'était pas la même dans les années 1950.
"Pas des Dr Faust machiavéliques"
"L'éthique contemporaine juge ces pratiques abusives, mais je peux vous parier que dans dix ans, des pratiques menées aujourd'hui apparaîtront comme abusives" note Vincent Barras, professeur d'histoire de la médecine à l'Université de Lausanne. A l'époque, de telles pratiques ont été menées dans le monde entier, rappelle-t-il. "Roland Kuhn et ses compères font ça un peu en bricolant, mais ce ne sont pas des Dr Faust machiavéliques habités par le diable, ce sont des gens qui sont imbus d'une idéologie scientifique".
La question de la responsabilité se pose, mais elle est délicate puisqu'elle signifie une possible indemnisation des victimes. Le cas de cette clinique rappelle la douloureuse histoire des enfants placés en Suisse, dont il a récemment été question aux Chambres fédérales.
Mission: établir les faits
Mais les historiens ne sont pas là pour juger, simplement pour établir les faits. "On va essayer de trouver comment étaient les relations entre tous les acteurs de cette clinique, les médecins, les infirmiers, les patients, les parents, mais aussi la politique et l'industrie pharmaceutique", explique Marietta Meier.
Le canton de Thurgovie finance les recherches des historiens sur trois ans. Il a débloqué un crédit de près d'un million de francs à cet effet - un record pour un projet de ce type.
Rouven Gueissaz/oang