Victimes de larcins ou handicapés, ils paient le prix de l'austérité lucernoise
Depuis une dizaine d'années, avec le soutien de sa population, le canton de Lucerne a progressivement fait passer son taux d'impôts sur les sociétés à 12,3%, le plus bas de Suisse.
Commissariats et écoles fermées
Défendues notamment par le conseiller d'Etat en charge des Finances, Marcel Schwerzmann, ces réformes ont produit des effets considérables en termes de prestations publiques. Contraint d'économiser, l'Etat a dû par exemple supprimer une semaine d'école en 2016.
Du côté de la police aussi, il a fallu faire des choix. Ainsi, quand Fritz Baumann, un retraité que Mise au Point a rencontré, a appelé la police pour signaler une tentative de cambriolage, il lui a été répondu qu'aucune patrouille n'était disponible. Un cas loin d'être isolé: en trois mois, les forces de l'ordre n'ont pas pu réagir à 500 appels.
En effet, comme l'explique Federico Domenghini, président du syndicat de la police du canton, "les patrouilles de police ont été réduites pendant la semaine" et "les postes de police sont fermés pendant le week-end".
Les handicapés touchés
Die Rodtegg, une institution pour personnes handicapées, doit aussi faire des économies. Les parents ne peuvent plus s'appuyer sur l'établissement pendant les vacances scolaires et durant les nuits. Une situation qui révolte Michael Ledergerber, père de deux filles handicapées.
"En tant que parents et couple, ce temps était très important pour récupérer et reprendre des forces", affirme-t-il. Au ministre des Finances qui estime que ces dépenses ne sont pas prioritaires, il rétorque: "mettez-vous à notre place, une semaine, deux jours, ou même une journée."
Des cordons bleus en seringue à tous les repas
Luitgardis Sonderegger-Müller, directrice de l'insitution die Rodtegg, craint que les effets des coupes ne s'arrêtent pas là. A l'avenir, elle imagine qu'il faille par exemple réduire le temps des repas. Pour un repas normal, "il faut du temps, cuillère après cuillère, mais [le patient] ressent le goût de la nourriture", plus de trente minutes en fait. La solution pour économiser? L'alimentation par sonde. Des cordons bleus en seringue, la méthode est déjà utilisée. La directrice ne peut imaginer devoir la généraliser.
Globalement, ce sont tous les temps de soin qui sont menacés. Le tableau futur l'inquiète. "On lèvera le premier, on le mettra contre le mur, puis le deuxième" et ainsi de suite, "le moyen-âge" pour Luitgardis Sonderegger-Müller.
Des pertes sous-estimées
Ces coupes et leurs conséquences n'entament en rien l'enthousiasme de Marcel Schwerzmann, grand argentier du canton. "Ces cinq dernières années, nous avons créé 10'000 postes de travail supplémentaires, c'est un excellent résultat", affirme-t-il. Le taux de chômage est resté stable juste en dessous de 2 points entre 2012 et 2017.
Son département nous a, de plus, transmis les chiffres témoignant d'une augmentation du nombre de sociétés dans le canton. Des chiffres qui nourrissent l'optimisme de Marcel Schwerzmann, qui espère "accroître les recettes fiscales", en élargissant le nombre de contributeurs.
Un effet sur lequel il compte déjà depuis plusieurs années, en vain. Dans un rapport publié fin 2011 qu'il a co-signé au nom du Conseil d'Etat, on découvre les projections de revenus du canton. Pour les années 2013, 2014 et 2015, les rentrées d'argent liées aux sociétés ont été surévaluées de 20% (67 millions) par rapport aux recettes finalement récoltées - avec une surévaluation de 35% pour 2015.
Les services lucernois ont aussi omis d'envisager la baisse du financement par la Confédération, via la péréquation financière. Cette baisse est liée à l'élargissement de l'assiette fiscale lucernoise et au fait que la péréquation ne doit pas favoriser le dumping fiscal. Ce défaut d'anticipation se chiffre au-delà de 100 millions de francs.
Ces chiffres n'entament pas la confiance de la majorité des Lucernois. Lors des dernières votations populaires, ils ont soutenu les mesures d’austérité. Le ministre des finances a déjà annoncé de nouvelles économies pour l’année prochaine.
François Ruchti/tyf