D'impressionnantes images tournées l'an dernier au Spitze Stei ont attisé les craintes des habitantes et habitants de la région de Kandersteg. Les éboulements de cette formation rocheuse en mouvement font craindre une catastrophe dans la vallée: si un morceau important venait à se fracturer, une grosse avalanche rocheuse pourrait se déverser dans la vallée latérale, puis rouler sur le village.
Si le scénario le plus probable est toutefois que la roche ne tombera pas d’un coup, mais plutôt en une série de fragmentations, chacun garde toujours un oeil sur cette formation rocheuse aussi imposante qu'instable.
Le massif se déplace rapidement
L'Office bernois des forêts et des dangers naturels surveille également 24 heures sur 24 le Spitze Stei et ses énormes masses rocheuses, avec des radars, des GPS et divers instruments de mesure. Chaque mouvement est enregistré et les mesures montrent que le massif qui culmine à près de 3000 mètres s’est déplacé par endroits jusqu’à 18 mètres en trois ans. Et alors que les chutes de pierres sont quotidiennes dans cette zone, plusieurs éboulements d'importance ont aussi été constatés ces dernières années.
Interrogé dimanche dans Mise au Point, Nils Hählen, qui travaille à l'office, estime que "ce qui est nouveau, c’est que la montagne bouge de plus en plus vite (...). Il y a des signes clairs que dans l’avenir, ça va s’effondrer. Il est possible que toute la montagne ne lâche pas, jusqu’à ce que le calme revienne. Il est possible que seule une partie se détache et qu’ensuite ça se calme. C’est difficile à prévoir."
Dans le pire des scénarios, ce seraient vingt millions de mètres cubes de calcaire et de marne qui pourraient se détacher soudainement, soit l’équivalent de sept pyramides de Khéops. Il semble toutefois que ce seront entre 1 et 8 millions de mètres cubes qui se détacheront en premier.
Cet effritement du flanc de la montagne serait notamment accéléré par le dégel du permafrost. Nils Hählen le confirme: "Nous avons un indice que le changement climatique joue un rôle. Nous savons qu’il y a du permafrost dans la montagne, nous savons aussi qu’il est à l’état chaud, proche de zéro degré. C’est certainement un facteur qui a considérablement changé au cours des dernières décennies. C’est pourquoi cela pourrait être l’une des causes de la crise."
Des zones fermées aux randonneurs
"Nous sommes conscients que nous vivons près de la nature. Mais je dois aussi dire que je ne peux pas imaginer à quoi ressemblerait le pire des scénarios. La question est simple: comment pouvons-nous nous préparer du mieux possible? Mais après, il nous faut vivre avec le risque résiduel", confie Doris, habitante de Kandersteg.
Non loin du massif, le lac d’Oeschinen est très fréquenté par les touristes et les amateurs de jolies photos à poster sur Instagram et cette zone reste considérée comme sûre. Mais les sentiers de randonnée directement dans la zone du Spitze Stei sont eux considérés comme dangereux et fermés aux promeneurs.
Au final, les habitants de Kandersteg et les touristes sont-ils en sécurité dans la région? Nils Hählen estime que oui: "Je n’aurais aucune réserve à vivre à Kandersteg. Les personnes responsables de la sécurité font tout pour que cette sécurité soit garantie."
Un dispositif d'alerte
Le village participe à cet effort sécuritaire. Le président du Conseil municipal René Mäder rencontre régulièrement le groupe de travail dédié et les habitants ont constitué une sorte de task force pour surveiller la situation. Toute la vallée est ainsi informée régulièrement des mouvements du massif et des dangers qu'ils représentent.
Les experts ont indiqué aux autorités du village qu'ils pourraient les prévenir normalement 48 heures avant une alerte majeure. Il s’agirait alors de procéder à l’évacuation des habitants, menacés par les avalanches de débris qui pourraient atteindre le village à travers le lit du ruisseau.
Un million de francs a par ailleurs été dépensé pour des structures de protection sur le ruisseau, qui devraient retenir les coulées de débris et empêcher tout dégât matériel dans le village. Mais le Conseil municipal espère bien que le dispositif ne soit jamais nécessaire.
Par mesure de sécurité, la planification des zones à bâtir a aussi été modifiée et le canton a affecté plus de la moitié des maisons à une nouvelle zone de planification et a ainsi stoppé plusieurs projets de construction. La municipalité espère que la nouvelle planification de la zone n’est que temporaire, mais de nombreuses propriétés du village ont déjà perdu de la valeur.
Adolf Ogi craint un dégât d'image
Ces dispositifs de sécurité ont aussi créé une énorme trouée dans la forêt et la vallée, avec un impact sur le paysage reconnu par les autorités municipales mais critiqué par certains.
L’enfant le plus célèbre de Kandersteg, Adolf Ogi, fait part de son inquiétude. L’ancien conseiller fédéral, dont la maison est située dans la zone dangereuse, ne craint pas un glissement de terrain imminent, mais plutôt des mesures de protection démesurées.
"C’est une cicatrice qui, sans égard, a été plantée dans la nature. On a pratiquement détruit la forêt", regrette l'ancien élu, avant d'ajouter, philosophe: "Il n’y a pas de vie sans risque, nous devons vivre avec ça."
Adolf Ogi reconnaît qu’il faut certes protéger les gens et être transparent sur les dangers, mais il craint de trop attirer l'attention des médias. De gros titres menaçants nuiraient à l’image du village et donc au tourisme. "Il ne faut pas dramatiser", conclut-il. "Mes craintes ne viennent pas de la nature, mais que Kandersteg souffre de la mauvaise image et qu’en attendant que la montagne tombe, on ne puisse plus vivre."
Reportage TV: Catherine Sommer avec SRF
Adaptation web: Frédéric Boillat