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Les notes de frais "embarrassantes" de certains conseillers d'Etat bernois

Révélées dans l’émission Kassensturz, les notes de frais de certains conseillers d'Etat bernois font polémique.
Révélées dans l’émission Kassensturz, les notes de frais de certains conseillers d'Etat bernois font polémique. / 12h45 / 2 min. / le 18 janvier 2024
Banane, petit pain, repas fastueux ou réserve de vins: les notes de frais de certains conseillers d'Etat bernois font grincer des dents, relate une enquête de SRF. Selon le directeur de l'Association bernoise du personnel de l'Etat, la situation est "embarrassante".

Le conseiller d'Etat PLR en charge de la sécurité Philippe Müller, 60 ans, occupe cette fonction depuis 2018 et touche un salaire annuel d'environ 280'000 francs, ainsi qu'une indemnité forfaitaire de 8000 francs par an. Depuis son entrée en fonction, il a gagné plus de 1,3 million de francs.

En tant que conseiller d'Etat, Philippe Müller se rend à des conférences, invite des hôtes du monde économique et politique aux frais du canton - et facture aussi parfois un petit pain multi-céréales bio à 95 centimes et une banane à 20 centimes, comme note de frais avec la mention "repas" pour un coût total de 1,15 franc.

Le conseiller d'Etat bernois Philippe Müller s'est fait rembourser une facture de 1,15 franc pour un petit pain et une banane. [Keystone - Anthony Anex]
Le conseiller d'Etat bernois Philippe Müller s'est fait rembourser une facture de 1,15 franc pour un petit pain et une banane. [Keystone - Anthony Anex]

Selon les documents obtenus par l'émission de SRF "Kassensturz", Philippe Müller a aussi facturé, par exemple, un bretzel au beurre à 3,20 francs au canton avec la mention: "Znüni PhM" (la pause de 9 heures, ndlr).

Daniel Wyrsch, directeur de l'Association bernoise du personnel de l'Etat et membre du PS, critique les demandes de remboursements de montants aussi minimes: "Pour un revenu annuel brut de près de 280'000 francs, je trouve cela très insignifiant et embarrassant. Les employés cantonaux ne peuvent pas en faire de même. Chacun emporte son propre goûter avec lui".

Kuno Schedler, professeur de gestion publique à l'Université de Saint-Gall, juge également ces petites dépenses discutables: "Le traitement à lui seul coûte déjà 25 à 30 francs. Et la question se pose: si quelqu'un demande un remboursement pour 20 centimes, que demande-t-il d'autre?"

Contacté par SRF, le directeur de la sécurité Philippe Müller n'a pas pris position sur ses notes de frais.

Du vin à midi et une cave

Les justificatifs montrent que le directeur de la sécurité Philippe Müller (PLR), le directeur de l'économie Christoph Ammann (PS) et le directeur de la santé Pierre Alain Schnegg (UDC), notamment, ont invité à dîner des hôtes du monde économique et politique aux frais du canton.

Pour l'expert Kuno Schedler, de telles rencontres font en principe partie du travail d'un conseiller d'Etat, pour autant qu'elles soient dans l'intérêt du canton: "S'il s'agit d'entretenir des relations, d'avoir des discussions importantes et personnelles, de tels repas sont justifiés".

Pierre Alain Schnegg (UDC) et Christoph Ammann (PS). [Keystone - Peter Klaunzer]
Pierre Alain Schnegg (UDC) et Christoph Ammann (PS). [Keystone - Peter Klaunzer]

Le conseiller d'Etat en charge de l'Economie Christoph Ammann (PS) apprécie visiblement le vin: il existe une "réserve de vin" au sein de sa direction, comme l'indique un justificatif correspondant. En automne 2020, 12 bouteilles à 23 francs de "Sauvignon Blanc 2018" ont été commandées, ainsi que 12 bouteilles de "le Grand Pinot", à 33,20 francs l'unité. Le but est indiqué à la main: "Vins pour apéritifs et cadeaux".

Les collaborateurs de la Direction des travaux publics et des transports doivent, eux, se contenter d'un vin moins cher - 320 bouteilles de chasselas à 4,30 francs la bouteille. Avec l'étiquetage, la livraison de vin a coûté 1536 francs au canton de Berne, comme le montre la facture de 2018. Elle est signée par le conseiller d'Etat UDC Christoph Neuhaus. Ce dernier n'a pas précisé à quoi a servi tout ce vin.

Contrairement à ses collègues du Conseil-exécutif, Christoph Neuhaus et sa direction n'ont facturé des dépenses qu'en 2018, et rien n'a été facturé de 2019 à 2021.

>> L'interview de Fanny Lalot, enseignante-chercheuse en psychologie sociale à l’université de Bâle, dans Forum :

Un conseiller d’Etat bernois s’est fait rembourser une banane par notes de frais: interview de Fanny Lalot
Un conseiller d’Etat bernois s’est fait rembourser une banane par notes de frais: interview de Fanny Lalot / Forum / 5 min. / le 18 janvier 2024

Des dépenses "légales"

Le chargé de communication du Conseil d'Etat bernois, Reto Wüthrich, écrit que les dépenses sont légales: "Les frais facturés sont des dépenses habituelles et justifiées dans une fonction exécutive au niveau cantonal. Le fait que les membres du gouvernement facturent au Canton de telles dépenses liées à leur fonction correspond au droit en vigueur".

Daniel Wyrsch, directeur de l'Association du personnel de l'Etat bernois, espère qu'après cette enquête, les conseillers d'Etat concernés seront plus sensibles à l'utilisation de l'argent public. Il trouverait judicieux de compléter le règlement des frais: "Pour simplifier le décompte des frais et des frais de représentation, il serait judicieux que les petits montants inférieurs à 30 francs ne puissent plus être remboursés individuellement".

Christof Schneider/SRF/jfe

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Des forfaits qui varient selon les cantons

Le forfait pour frais des membres du gouvernement dans le canton de Berne, qui s'élève à 8000 francs par an, est comparativement bas, comme le montre une enquête de "Kassensturz". Les forfaits les plus élevés sont versés en Suisse romande, comme à Genève (34'000 francs), Fribourg (24'000 francs) et dans le canton de Vaud (23'800 francs).

Contrairement au canton de Berne, dans de nombreux autres cantons, il n'est pas possible de facturer individuellement les petites et très petites dépenses.

L'enquête de SRF le montre: par rapport aux hommes, les conseillères d'Etat facturent moins de frais et de dépenses de représentation.

Pour les repas avec des invités, les conseillers d'Etat Christoph Ammann, Pierre Alain Schnegg et Philippe Müller ont par exemple facturé plusieurs milliers de francs en plus du forfait initialement reçu, les conseillères d'Etat ne facturent que quelques centaines de francs.

Une bataille juridique pour obtenir les données

Se référant au principe de transparence ancré dans la Constitution du canton de Berne, "Kassensturz" a demandé en 2023 à consulter les notes de frais des conseillers d'Etat bernois de 2018 à 2021. La Chancellerie d'Etat du canton a dans un premier temps rejeté la demande de consultation de SRF au motif que le travail nécessaire à la publication des quittances de quatre années était disproportionné et leur contenu trop délicat. "Les justificatifs peuvent contenir des informations qui relèvent en partie du domaine du secret personnel", avait indiqué la Chancellerie bernoise.

"Kassensturz" a fait appel de la décision, mais avant même que le tribunal administratif bernois ne se prononce sur ce cas, le Canton a changé d'avis et a publié les reçus de frais et les décomptes de 2018 à 2021 dans un document de 300 pages, contenant aussi les frais de représentation.