C'est désormais le coeur un peu lourd et le regard désabusé que les époux Aeberhard arpentent leur exploitation agricole. Pourtant, il y a un mois encore, ces écologistes convaincus croyaient fermement à leur projet de centrale au biogaz. "Ce genre d'installation permet de récupérer le méthane qui se dégage du lisier, pour ensuite produire de l'énergie", précise Beat Aeberhard.
"C'est donc doublement bénéfique pour le climat." Avec une production estimée à 700'000 kilowattheures par an, l'équivalent de la consommation de 200 ménages, le projet est dans l'air du temps.
Mais il y a trois semaines, après cinq ans de procédure, la justice fribourgeoise a finalement interdit la construction de la centrale, qu'elle estime entre autres dommageable pour le patrimoine voisin, un château protégé par la législation.
"On nous interdit de sauver le climat"
Le verdict a bouleversé le couple fribourgeois. "J'ai pleuré. J'étais vraiment à bout de nerfs, déçue", confie Elsbeth Aeberhard. "On veut sauver le climat et on nous interdit de le faire." Le jugement, contenant près de 24 pages, est fouillé, mais surtout pas fréquent: il est rare que la justice penche aussi clairement du côté du patrimoine plutôt que de l'écologie.
Pour les recourants, et en premier chef Pro Fribourg, c'est un soulagement. "Je crois que l'on fait vraiment fausse route si l'on veut opposer patrimoine et énergie renouvelable, ou transition écologique. On le voit par exemple avec les bâtiments de la Place du Tilleul, au centre-ville de Fribourg, ils ont 200, 300, voire 400 ans pour certains. C'est ça le développement durable", affirme la secrétaire générale Sylvie Genoud Jungo.
Appel au TF?
Le Conseil d'Etat fribourgeois a refusé presque dans le même temps un assouplissement des règles de pose de panneaux solaires sur les bâtiments protégés. Côté autorités, on assume: la transition doit se faire intelligemment et mesurément malgré l'urgence.
"Il n'y a pas opposition, pas de conflit entre écologie et patrimoine, mais simplement deux intérêts publics", tempère Jean-Pierre Siggen, conseiller d'Etat en charge de la culture. "Il s'agit de concilier un chemin qui ménage les uns et les autres, et si nécessaire, faire une pesée d'intérêt."
Les époux Aeberhard ne sont pas encore certains de faire appel de ce verdict auprès du Tribunal fédéral. Cette affaire leur a déjà coûté plusieurs dizaines de milliers de francs.
Melchior Oberson/gma