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Le promoteur immobilier Damien Piller est de nouveau poursuivi pour escroquerie

L’homme d’affaires Damien Piller est de nouveau poursuivi pour escroquerie à la suite d’une plainte de Migros Neuchâtel Fribourg
L’homme d’affaires Damien Piller est de nouveau poursuivi pour escroquerie à la suite d’une plainte de Migros Neuchâtel Fribourg. Enquête / 19h30 / 2 min. / le 2 avril 2023
L’homme d’affaires fribourgeois aurait lésé les intérêts de Migros Neuchâtel Fribourg quand il en était le président. Le ministère public fribourgeois a ouvert une nouvelle instruction à son encontre et l’auditionnera lundi 3 et mercredi 5 avril, révèle le Pôle Enquête de la RTS dimanche. Damien Piller conteste les faits reprochés.

C’était en début d’année, le 10 janvier 2023. Dans un communiqué de presse, le procureur général fribourgeois Fabien Gasser annonçait avoir rendu une ordonnance de classement à l’encontre de Damien Piller, poursuivi pour gestion déloyale aggravée et escroquerie (voir encadré).

>> Lire à ce sujet : Pas de suite pénale pour Damien Piller dans l'affaire Migros Neuchâtel-Fribourg

Une victoire pour le promoteur immobilier, mais une joie de courte durée. Selon les renseignements du Pôle Enquête de la RTS, à peine une semaine plus tard, le 16 janvier 2023, le procureur général a ouvert une nouvelle instruction pénale contre Damien Piller et l’a mis en prévention pour escroquerie et tentative d’escroquerie. Contacté cette semaine, le ministère public confirme cette information, mais ne souhaite pas en dire davantage pour l’instant, "vu l’instruction en cours".

Pour mieux comprendre ce nouvel épisode dans l’affaire Damien Piller, il faut remonter le temps. En juillet 2019, Migros Neuchâtel Fribourg (MNF) et la Fédération des coopératives Migros (FCM) déposent une première plainte contre Damien Piller, alors président du Conseil d’administration de MNF depuis 1996. Ils l’accusent d’avoir privilégié ses intérêts d’homme d’affaires au détriment de ceux de Migros. C’est cette plainte qui a donc été classée en janvier.

>> Lire à ce sujet : Procédure pénale ouverte contre Damien Piller dans son conflit avec Migros

Deuxième plainte en 4 actes

Mais ce qui n’avait jamais été porté à la connaissance du public à ce jour, c’est qu’après le dépôt de leur première plainte, les directions de MNF et de la FCM ont décidé d’examiner d’autres transactions qui ont eu lieu sous l’ère Piller. Elles ont mené une enquête interne et déposé une deuxième plainte pénale le 25 novembre 2020. C’est cette plainte qui a débouché sur l’ouverture d’une nouvelle instruction pénale. Les soupçons d’escroquerie et de tentative d’escroquerie portent sur quatre opérations immobilières.

Premier dossier: le rachat de JSL Real Estate SA

Damien Piller est poursuivi pour avoir fait acquérir à MNF une société à un prix bien trop élevé le 20 avril 2016. Ce jour-là, MNF rachète JSL Real Estate SA pour un peu moins de 53 millions de francs. Le principal actif de cette société est un immense bâtiment à la route d’Agy, à Granges-Paccot. Le contrat est signé devant le notaire Grégoire Piller, frère et associé de Damien Piller.

Que dit Migros?

Selon la plainte pénale de Migros Neuchâtel Fribourg et de la Fédération des coopératives Migros, que la RTS a consultée, le conseil d’administration présidé par Damien Piller n’aurait jamais requis une évaluation de la valeur de cette société. Il se serait fondé uniquement sur le calcul présenté par Damien Piller et n’aurait pas tenu compte des mises en garde du chef des Finances, membre de la direction de MNF.

Dans le cadre de son enquête interne, en 2019 et en 2020, Migros a mandaté KPMG et Wüest Partner pour évaluer cet achat. Le premier a conclu à une valeur de l’immeuble surévaluée de 5 millions; le deuxième de plus de 10 millions. Le géant orange estime donc avoir subi un préjudice équivalent à ce montant.

Dans sa plainte, mais sans en tirer de conclusions, Migros relève les liens étroits entre Damien Piller et la famille à la tête de la société JSL. Cette famille est en effet la bailleresse des locaux accueillant la surface de vente Migros à La Roche, dans le district de la Gruyère.

Que répond Damien Piller?

Il a pris position sur ces accusations dans un courrier adressé la semaine dernière par son avocat, Me Philippe Leuba, au procureur général, Fabien Gasser.

Dans cette lettre, dont la RTS a pris connaissance, l’avocat rappelle la chronologie du dossier. Dans un premier temps, en 2012, Migros avait signé un contrat de bail avec la société JSL Real Estate SA. Il était alors question d’ouvrir un OBI (un magasin spécialisé dans le bricolage) et un Interio dans l’espace loué par Migros.

Mais en raison de la "détérioration brutale du marché du brico", le géant orange a dû revoir ses plans pour éviter de perdre des millions. C’est ainsi qu’est née en 2015 l’idée d’acheter le bâtiment. Pour Me Leuba, Damien Piller n’a en aucun cas œuvré dans son coin, mais en coordination avec la direction de Migros, qui est aujourd’hui partie plaignante.

Concernant le montant de la transaction, l’avocat souligne qu’un rapport d’une fiduciaire rendu dans les jours qui ont précédé l’achat indique que "le prix de vente de l’immeuble est celui du marché".

Deuxième dossier: l'immeuble de la rue Paul Bondallaz à Romont

MNF exploitait une surface de vente dans un bâtiment dont elle était propriétaire à la rue Paul Bondallaz, à Romont. Mais en 2014, la coopérative a décidé de fermer cet espace de vente, de vendre l’immeuble et d’ouvrir un nouveau magasin à la gare de Romont. Damien Piller est poursuivi pour avoir tenté d’acheter l’immeuble de la rue Paul Bondallaz pour la moitié de sa valeur en novembre 2018.

Que dit Migros?

Selon les plaignantes, Damien Piller a proposé de racheter le bâtiment pour 2 millions de francs via Anura SA, sa société active dans la promotion immobilière. Le chef des finances de MNF aurait alors insisté pour qu’une évaluation indépendante de l’immeuble ait lieu. Malgré cela, Damien Piller aurait maintenu son offre à 2 millions en s’appuyant sur une évaluation réalisée en 2014.

Pourtant, la nouvelle expertise, réalisée en février 2019, a fait état d’un immeuble qui valait plus du double. C’est ainsi qu’en septembre 2019, à la suite d’un appel d’offres, le bâtiment a été vendu 4 millions de francs à Fastimmo SA, une société qui n’appartient pas à Damien Piller. Pour MNF et la FCM, Damien Piller a tenté de faire perdre 2 millions de francs à MNF dans le cadre de cette vente.

Que répond Damien Piller?

Dans son courrier adressé au procureur général, l’avocat de Damien Piller confirme que son client a proposé 2 millions pour le rachat de cet immeuble. Mais il précise qu’en décembre 2018, dans un courriel transmis aux autres membres du conseil d’administration, son client a écrit : "Si un autre acquéreur est trouvé pour ce prix-là, il ne faut pas hésiter à conclure avec lui."

Me Leuba relève également qu’en septembre 2019, lorsque le conseil d’administration a décidé de vendre l’immeuble pour 4 millions à Fastimmo SA, Damien Piller "a voté sans hésitation en faveur de cette transaction". Pour l’avocat, il n’a donc aucunement tenté de faire perdre de l’argent à Migros.

>> Les explications de Fabiano Citroni dans Forum :

Le promoteur immobilier Damien Piller à nouveau poursuivi pour escroquerie
Le promoteur immobilier Damien Piller à nouveau poursuivi pour escroquerie / Forum / 2 min. / le 2 avril 2023

Troisième dossier: la Migros de Neyruz

Dans le cadre d’un projet immobilier porté par sa société Anura SA, Damien Piller est poursuivi pour avoir fait ouvrir une Migros à Neyruz en 2019, une succursale qui serait soumise à un loyer surfait et engendrerait des pertes d’exploitation.

Que dit Migros?

Selon les plaignantes, c’est en 2014 que le conseil d’administration de MNF discute de ce projet immobilier développé par la société de Damien Piller, et de la possibilité d’y exploiter un magasin. Mais aucune étude de marché ne serait commandée pour autant.

Changement de décor en 2018. Jean-Marc Bovay, nouveau directeur de MNF (il succède à Marcelle Junod, une proche de Damien Piller), aurait insisté pour qu’une étude de rentabilité soit réalisée. Cette analyse aurait conclu à un résultat négatif en tout cas pour les trois premières années d’exploitation. Malgré cela, le conseil d’administration aurait maintenu son projet et le magasin a ainsi ouvert ses portes en juillet 2019.

Dans leur plainte, MNF et la FCM font état d’un loyer de plus de 330'000 francs par an contre 300'000 francs pour un loyer conforme au prix du marché, mais aussi d’une perte d’exploitation de près de 340'000 francs à fin 2019. Elles estiment donc que les intérêts pécuniaires de Migros ont été lésés par l’ouverture de cette succursale.

Reste un point, pourquoi Damien Piller aurait-il voulu ouvrir un magasin à Neyruz? Pour MNF et la FCM, c’est très simple: grâce à la présence d’une Migros, le complexe immobilier porté par sa société Anura SA a pris de la valeur.

Que répond Damien Piller?

Dans sa lettre transmise au procureur général, l’avocat de Damien Piller dit en résumé que l’ouverture de cette Migros est le fruit d’une concertation entre le conseil d’administration et la direction de MNF.

Me Philippe Leuba indique ainsi qu’en mai 2017, Jean-Marc Bovay, qui n’était pas encore directeur de Migros, mais chef de l’expansion, "avait présenté les plans d’un magasin à Neyruz avec la recommandation de poursuivre cette opportunité d’expansion".

L’avocat fait aussi mention d’un courriel de janvier 2018 dans lequel le chef des Finances, membre de la direction de MNF, confirme à Damien Piller que le loyer pour le projet Migros de Neyruz est "conforme au prix du marché".

Me Leuba relève enfin que le contrat de bail pour Neyruz n’a pas été signé par Damien Piller, mais par le directeur de MNF, Jean-Marc Bovay, "en pleine connaissance du rapport Wüest Partner SA du 29 mars 2019" stipulant qu’un loyer conforme au prix du marché tournait autour de 300'000 francs par an et non de 330'000 francs.

Quatrième dossier: la convention autour d'un projet immobilier à Domdidier

Negi SA, une société de courtage présidée par Damien Piller, a développé un projet immobilier à Domdidier comportant des immeubles d’habitation et un immeuble mixte qui a accueilli une Migros. Damien Piller est poursuivi pour avoir fait signer le 30 mai 2017 une convention dans laquelle MNF s’engage à verser 284'000 francs (plus TVA) à sa société Negi SA, à titre de participation à la réalisation des infrastructures devant être construites pour accueillir cette succursale Migros. Cette convention a été conclue trois jours avant l’ouverture du magasin, le 1er juin 2017.

Que dit Migros?

Dans leur plainte, MNF et la FCM affirment que MNF a été lésée car elle a payé 284'000 francs à la société de Damien Piller pour des éléments de construction qui étaient à la charge du bailleur en vertu du contrat de bail.

Les plaignantes indiquent également que Negi SA a vendu l’immeuble abritant le magasin à Gastlosen Immobilier SA, mais que le bail de MNF n’a pas été négocié entre le locataire (Migros) et le bailleur (Gastlosen), mais entre le locataire et le promoteur immobilier, soit la société de Damien Piller.

Or, selon les plaignantes, le loyer payé par Migros (environ 170'000 francs par an) serait nettement plus important qu’un loyer conforme au prix du marché (126'000 francs), selon un rapport d’évaluation de Wüest Partner. La valeur de l’immeuble et son prix de vente auraient ainsi augmenté, et Damien Piller, via Negi SA, aurait réalisé une belle affaire sur le dos de Migros.

Que répond Damien Piller?

Dans son courrier au procureur général, Me Leuba écrit que le contrat de bail entre Migros et Gastlosen Immobilier SA "fait expressément référence à la convention entre Negi SA et MNF", et qu’il était ainsi écrit noir sur blanc que Migros participerait "aux frais d’infrastructure de base".

L’avocat signale aussi que cette convention est postérieure à celles, similaires, relatives aux Migros de Belfaux et La Roche, deux conventions "au sujet desquelles personne n’avait émis le moindre grief à l’époque". Il peine ainsi à comprendre les questions soulevées aujourd’hui. En outre, dans sa lettre, l’avocat ne fait pas référence au loyer payé par Migros, qui ne serait pas conforme au prix du marché.

Auditions le 3 et le 5 avril

En se plongeant dans ces quatre dossiers, le constat est clair: MNF et la FCM, d’un côté, et Damien Piller, de l’autre, se livrent à une guerre des chiffres et des mails.

Les plaignantes dénoncent "la mainmise" de Damien Piller, son "influence dominante" et ses nombreux conflits d’intérêt. Mais pour l’avocat du promoteur immobilier, en revanche, "tout a été fait en parfaite transparence et dans le souci de préserver les intérêts de MNF".

Le procureur général fribourgeois, Fabien Gasser, aura l’occasion d’entendre les uns et les autres lors de deux auditions prévues lundi 3 avril et mercredi 5 avril.

Fabiano Citroni/furr

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L’affaire Piller en dates

1er juillet 2019

La Fédération des coopératives Migros (FCM) dépose une plainte pénale en lien avec des travaux de construction de deux succursales Migros à Belfaux et La Roche, dans le canton de Fribourg. Elle soupçonne Damien Piller, président du conseil d’administration de Migros Neuchâtel Fribourg (MNF) mais aussi promoteur immobilier, de s’être enrichi illégitimement.

16 juillet 2019

MNF porte plainte à son tour pour les mêmes raisons. Les deux plaintes sont accompagnées d’un rapport d’enquête réalisé à la demande des plaignantes par un avocat.

28 octobre 2019

Après avoir pris connaissance de ces plaintes, le ministère public fribourgeois ouvre une procédure pénale à l’encontre de Damien Piller et de l’ancienne directrice de MNF pour gestion déloyale aggravée, subsidiairement escroquerie.

10 juin 2020

Une autre affaire impliquant Damien Piller fait l’actualité. Il s’agit du vote des coopérateurs de MNF amenés à se prononcer sur la révocation ou non du conseil d’administration qu’il préside. Le promoteur immobilier a remporté la votation, mais le résultat est contesté. Ce 10 juin, le procureur général neuchâtelois, Pierre Aubert, confirme que des dizaines de milliers de bulletins ont été falsifiés, mais aussi qu’il mène une instruction pénale pour faux dans les titres. Damien Piller est dans son collimateur. L’instruction est toujours en cours.

25 novembre 2020

La FCM et MNF déposent une nouvelle plainte à l’encontre de Damien Piller en lien avec quatre dossiers portant sur quatre succursales. Personne ne le savait à ce jour.

9 janvier 2023

Le ministère public fribourgeois rend une ordonnance de classement concernant les plaintes déposées en juillet 2019 par la FCM et MNF. Cette décision a fait l’objet d’un recours de MNF.

16 janvier 2023

Le ministère public fribourgeois ouvre une nouvelle instruction pénale à l’encontre de Damien Piller pour escroquerie et tentative d’escroquerie. Une instruction liée à la plainte déposée le 25 novembre 2020 par MNF et la FCM.