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Ces réfugiés d'Erythrée ou de Guinée qui fabriquent du fromage suisse

Mise au point - Apprentis fromagers et réfugiés. [RTS]
Apprentis fromagers et réfugiés / Mise au point / 12 min. / le 23 avril 2023
Symbole helvétique, le fromage ne séduit plus. La filière des métiers du lait peine à recruter de nouveaux apprentis chez les jeunes Suisses et Suissesses. Mais la relève pourrait venir d’ailleurs, par exemple des requérants d'asile. Plusieurs d'entre eux travaillent dans des fromageries fribourgeoises.

C'est une routine, presque une chorégraphie, qui démarre chaque jour à cinq heures du matin. Dans une presse à fromage, Habteab Makele finalise la transformation de 8000 litres de lait en vacherin fribourgeois. Une opération qui fascine toujours autant cet apprenti fromager originaire d'Erythrée, lui qui n'a appris à connaître le fromage qu'il y a sept ans, lors de son arrivée en Suisse.

Après un stage, le requérant d'asile a demandé à la laiterie-fromagerie d'Arconciel, qui l'avait accueilli, d'être engagé comme apprenti. A 24 ans, il est désormais en passe de réaliser son rêve de devenir fromager. "Quand je viens au travail, j'oublie mes problèmes, mon parcours, mes difficultés", raconte-il, dimanche dans l'émission de la RTS Mise au point.

Quand j'étais apprenti, je côtoyais plutôt des Portugais. Après il y a eu les Français, maintenant les Erythréens, et les Polonais avant eux. Nous avons toujours eu de la chance que le monde vienne nous aider quand on n'avait personne

Stéphane Schneuwly, patron de la laiterie-fromagerie d'Arconciel

A l'instar d'Habteab Makele, les jeunes requérants d'asile sont toujours plus nombreux à s'engager dans les fromageries.

A la laiterie-fromagerie d'Arconciel, l'arrivée de l'Erythréen a été une aubaine, car son patron Stéphane Schneuwly peine à trouver du personnel: "Quand j'étais apprenti, je côtoyais plutôt des Portugais. Après il y a eu les Français, maintenant les Erythréens, et les Polonais avant eux. Nous avons toujours eu de la chance que le monde vienne nous aider quand on n'avait personne."

Être fromager demande de se lever tôt le matin, de travailler le week-end et les jours fériés. "Même le 1er janvier, il faut se lever", plaisante Stéphane Schneuwly.

Le risque d'un renvoi

Des contraintes toutes relatives comparées aux épreuves qu'Habteab Makele a traversées. Parti de chez lui, seul, à 17 ans, il est arrivé en Suisse après avoir franchi de nombreux pays et la mer Méditerranée, théâtre d'innombrables drames.

Depuis cinq ans, Stéphane Schneuwly transmet patiemment son savoir à Habteab Makele. Et l'heure des examens finaux approche, ce qui angoisse passablement le jeune homme. "Je n'ai jamais passé d'examen aussi important, mais je pense que ça se passera bien", se rassure-t-il.

Pour les entreprises qui souhaitent engager des requérants d'asile, d'autres contraintes peuvent survenir, comme le risque d'un renvoi en cours de formation.

L'importance du diplôme

Les apprentis des métiers du lait de Suisse romande sont formés à l'Institut agricole de Grangeneuve à Posieux, dans le canton de Fribourg. Ils s'y retrouvent une fois par semaine. A la pause, on y parle souvent le tigrigna, car les communautés, notamment érythréennes, se transmettent le filon.

Mais les cours sont donnés en français, ce qui, pour beaucoup, représente la principale difficulté de l'accès à l'apprentissage. Pourtant, ces jeunes s'accrochent, car ils se rendent compte de l'importance de disposer d'un diplôme officiellement reconnu en Suisse. Les professeurs sont compréhensifs et adaptent leurs cours en conséquence. Ils proposent un enseignement par le jeu et en petits groupes plutôt que frontal, devant toute la classe.

Au début, la relation avec les collègues n'était pas facile. Je n'était pas bien perçu. Ils me disaient que je n'étais pas capable. Mais cela m'a motivé à aller jusqu'au bout et à réussir

Mamadou Bhoye Bah, premier apprenti fromager d'originaire africaine

"Au début, la relation avec les collègues n'était pas facile, se souvient Mamadou Bhoye Bah, 23 ans, premier apprenti fromager d'originaire africaine. Je n'était pas bien perçu. Ils me disaient que je n'étais pas capable. Mais cela m'a motivé à aller jusqu'au bout et à réussir."

Mais les mentalités ont beaucoup évolué ces dernières années. "En général, ils ont une motivation qui est sincère, explique Jacques Ecoffey, maître-fromager à Pringy. Les jeunes d'origine suisse sont également intrigués de voir ces requérants d'asile motivés, et cela les motive aussi."

Et les maîtres d'apprentissage sont désormais prompts à embaucher ces jeunes, souvent originaires de pays d'Afrique ou d'Afghanistan, et qui leur donnent entière satisfaction.

Sujet TV: Noémie Guignard

Adaptation web: swissinfo.ch

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