Andrey Nazheskin, binational russo-suisse, est l’un des deux consuls honoraires de Biélorussie en Suisse. Souvent exercée par un civil, la fonction de consul honoraire s'apparente à celle d'un diplomate de l'ombre, soit une personne de contact qui rend service à son pays par son réseau.
L'homme a été formellement nommé par le ministère des Affaires étrangères de Biélorussie en 2018. Des locaux du consulat ont d’ailleurs été inaugurés début 2022 à Givisiez, en périphérie de Fribourg, en présence de l’ambassadeur biélorusse.
Un pays sous sanctions
Andrey Nazheskin représente ainsi les intérêts d'un régime autoritaire, actuellement sous sanctions européennes et suisses en raison du soutien à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le Conseil fédéral lui-même parle de "coresponsabilité de la Biélorussie dans les graves violations du droit international".
Par ailleurs, la répression des opposants est aussi fréquemment pointée du doigt. Le Conseil de l’Europe, garant de l’Etat de droit, a supprimé ses relations avec Minsk.
Dans ce contexte, plusieurs ONG demandent ouvertement aux consuls honoraires d'abandonner leur fonction. C'est ce qu'a fait récemment celui en poste au Liechtenstein. Or, Andrey Nazheskin, lui, est toujours en poste.
De l'immobilier au hockey sur glace
Ce binational de 40 ans a étudié en Suisse et a travaillé dans le canton de Fribourg et au Liechtenstein. Il est actuellement à la tête d'une entreprise d'immobilier. Mais il est aussi connu dans le monde du hockey sur glace, lui qui a été actionnaire du club de Martigny (VS) durant cinq ans, avant de se retirer en 2017.
Andrey Nazheskin s'est lancé en politique il y a quatre ans. Il figurait à l'époque sur la liste de l'UDC à Genève pour les élections fédérales 2019, alors qu'il vivait au Liechtenstein. Il avait obtenu un résultat peu concluant, finissant dernier de cette liste. Il a d'ailleurs laissé au sein de l’UDC genevoise le souvenir d’un "candidat furtif".
Pas découragé par cet échec, il se porte candidat au Conseil général (législatif) de la Ville de Fribourg en 2021, toujours sous la bannière de l’UDC. Il ne termine que dixième sur douze et n’est pas élu.
De suppléant à député
Mais l'histoire ne s'arrête pas là. En raison de nombreux départs au sein de son parti, il fait désormais son entrée en tant que quatrième suppléant. Sur le site de la ville de Fribourg, son nom figure déjà parmi les membres du législatif.
Andrey Nazhseskin a été proclamé élu par les autorités communales la semaine passée. Il doit être assermenté prochainement par la Préfecture de la Sarine, en vue d’une première séance sur les bancs du Conseil général le 30 mai.
Rien d'illégal
Le mandat électif de Andrey Nazheskin n'a rien d'illégal. A Berne, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) a validé son accréditation comme consul honoraire.
Contacté, le DFAE indique qu’il peut y avoir des restrictions d’accès à ce poste pour des personnes élues au niveau politique. Mais il précise ne "pas avoir de connaissance d’incompatibilité" dans ce cas-ci. Le Conseil communal devra toutefois s’assurer que le "vienne-ensuite" déclare dans ses intérêts son poste de consul honoraire.
Du côté fribourgeois, aucune entrave réglementaire n'avait été constatée lors du contrôle, au moment du dépôt des listes en 2019.
Critiques politiques
Cette situation suscite tout de même des critiques au niveau politique. L'ONG Libereco estime que représenter "une dictature" tout en défendant les valeurs démocratiques dans un Parlement en Suisse est incompatible.
Le sujet fait également réagir sous la Coupole fédérale. Nicolas Walder (Vert/GE) entrevoit lui aussi une incohérence autour de la défense d'un régime violent et dictatorial. Le socialiste Fabian Molina se dit lui "choqué mais pas surpris", soulignant les problèmes qui entourent ces fonctions de consul honoraire.
Sujet radio: Julien Bangerter
Adaptation web: Mathieu Henderson
Andrey Nazheskin se défend
Interrogé mercredi dans l'émission Forum de la RTS, Andrey Nazheskin a réfuté ces accusations. Il affirme qu'il n'y a aucun lien problématique entre son poste de consul honoraire et son mandat politique à Fribourg.
"Notre rôle de consul honoraire est loin d'être politique. On n'exerce aucune influence. On est responsable pour les citoyens biélorusses et les Suisses en Biélorussie. On est responsable pour les choses culturelles ou sportives. Donc je ne vois pas de conflit d'intérêt", s'est-il défendu.
Il indique par ailleurs ne pas être rémunéré pour la représentation biélorusse et n'avoir que "peu de contact" avec le régime au niveau politique. Il admet toutefois avoir bien été nommé par le ministre biélorusse des Affaires étrangères.