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La défense de Pierre Maudet vacille sur le volet fiscal

Le conseiller d'Etat genevois Pierre Maudet. [Keystone - Cyril Zingaro]
Affaire Maudet: des experts se montrent critiques sur le rapport Oberson / Forum / 3 min. / le 18 décembre 2018
Selon une analyse qu'il a commandée au fiscaliste Xavier Oberson, le conseiller d'Etat genevois Pierre Maudet dit qu'il aurait pu économiser 70'000 francs d’impôts. Le fisc genevois met à mal cette thèse.

Soupçonné de ne pas être en règle avec le fisc, le conseiller d'Etat genevois Pierre Maudet plaide la maladresse. Pour étayer cette thèse, il affirme que, dans ses déclarations d’impôts des dix dernières années, il s'est trompé en sa faveur, mais aussi en sa défaveur.

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Il assure ainsi avoir omis de faire valoir un taux préférentiel auquel il aurait eu droit lorsqu'il a touché en 2012 une indemnité de quelque 200'000 francs en quittant le Conseil administratif de la Ville de Genève pour le Conseil d'Etat. Vérification faite auprès du fisc genevois, cette hypothèse ne semble pas se vérifier. Le taux préférentiel dépend avant tout de l'âge du bénéficiaire et la norme est fixée à 58 ans, alors que Pierre Maudet n'avait que 34 ans en 2012.

Argumentaire de cinq pages

Comment expliquer ce décalage entre la version de Pierre Maudet et les normes en vigueur? Comme l'a révélé la RTS, le conseiller d'Etat genevois a commandé un bref argumentaire de cinq pages au réputé professeur de droit fiscal Xavier Oberson. Dans ce document en notre possession, deux choses ressortent:

1. Pierre Maudet a déduit 40'000 francs de contributions à son parti versés par des tiers. Pour cela, il pourrait devoir payer un supplément d'impôt d'environ 9000 francs (lire encadré).

2. Le contribuable Maudet aurait payé beaucoup trop d'impôts en 2012, jusqu'à 70'000 francs selon les calculs de Xavier Oberson. L'avocat fiscaliste base son hypothèse sur le Règlement de la Ville de Genève prévoyant des rentes pour les anciens magistrats. S'ils ont moins de 50 ans, ils peuvent encaisser une "indemnité" en quittant la fonction "en lieu et place" d'une rente. C’est ce qu'a choisi Pierre Maudet. Xavier Oberson estime que l'indemnité n’aurait pas dû être taxée comme du revenu, mais comme un cas de prévoyance professionnelle. Le taux est nettement plus favorable et Xavier Oberson met ainsi en avant une économie potentielle de 70'000 francs.

Pratique basée sur des normes fédérales

De son côté, l'Administration fiscale cantonale genevoise nous a fait savoir par écrit qu'elle fonde sa pratique générale sur des normes fédérales. Elle précise que "pour bénéficier d’une imposition réduite au cinquième des barèmes, les versements en capital doivent être considérés comme prestations de prévoyance professionnelle". Pour cela, il faut remplir trois critères cumulatifs:

1. Avoir plus de 58 ans au moment du paiement de la prestation en capital.

2. Abandonner définitivement toute activité lucrative exercée à titre principal.

3. Démontrer qu'une lacune de prévoyance future se soit créée par la cessation prématurée du versement des cotisations de prévoyance.

Ces trois exigences ne sont pas remplies par Pierre Maudet. Plusieurs experts en droit fiscal et des assurances consultés par la RTS ont également fait part des mêmes réserves, liées tout d’abord au jeune âge de celui qui a reçu l’indemnité. La Ville de Genève précise pour sa part que ces indemnités sont considérées comme du revenu et que les cotisations sociales sont d’ailleurs retenues de la somme versée.

Confrontés à toutes ces réserves, Xavier Oberson et la défense de Pierre Maudet renvoient à l’argumentaire de base. En tout état de cause, les 200'000 francs ont été déclarés et taxés comme du revenu et il est trop tard pour demander une "procédure de révision", comme le conclut lui-même le rapport commandé par le conseiller d’Etat.

Ludovic Rocchi et Fabiano Citroni

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Pourquoi Pierre Maudet encourt une sanction du fisc

Dans son argumentaire de cinq pages, Xavier Oberson consacre cinq paragraphes au point le plus délicat du volet fiscal: les déductions liées à la contribution personnelle versée au parti politique.

Pour mémoire, La Tribune de Genève a révélé qu'à quatre reprises (en 2013, 2014, 2015 et 2017), cette contribution annuelle de 10'000 francs n'a pas été versée par Pierre Maudet, mais par son comité de soutien. Le quotidien genevois a aussi affirmé que le conseiller d'Etat a pourtant déduit de ses impôts ces 40'000 francs (4 fois 10'000 francs) versés par des tiers. Pierre Maudet a toujours refusé de confirmer ou d'infirmer ces affirmations.

Le chapitre consacré aux déductions confirme les révélations de notre confrère. Xavier Oberson écrit qu’"il ressort des documents remis que Pierre Maudet faisait valoir en déduction année après année les versements obligatoires au parti politique les libéraux-radicaux au titre de frais liés à l'obtention du revenu".

Le professeur de droit fiscal précise que "selon les explications fournies", ces versements auraient été effectués par l’Association de soutien à Pierre Maudet en vertu du but statutaire de cette association, à savoir "promouvoir la candidature de Pierre Maudet au Conseil d’Etat genevois et soutenir plus généralement l'action politique de Pierre Maudet".

Dans son analyse, Xavier Oberson explique que cette prestation du comité de soutien "ne saurait être qualifiée de donation" car le comité "agit dans le cadre de son but statutaire". Mais il précise que cette prestation (le versement des 40 000 francs) "a fait accroître le patrimoine de Pierre Maudet. Un tel accroissement devrait être imposable en vertu de la clause générale du revenu selon l'article 16 de la Loi fédérale sur l'impôt fédéral direct."

Or, Xavier Oberson relève que les 40'000 francs versés par le comité de soutien "n’ont pas été imposés dans le cas d'espèce" et qu’"une charge fiscale supplémentaire s’élèverait pour les quatre années, à un total d’environ 9000 francs". Il conclut ce chapitre en rappelant qu’"au vu des circonstances, il appartient à l'Administration fiscale cantonale de déterminer si les conditions de l’ouverture de la procédure en rappel d’impôt sont remplies, et dans l’affirmative, si une telle non-imposition provient d'une faute du contribuable".

Le dossier du contribuable Pierre Maudet est en effet dans les mains du fisc genevois. Plusieurs spécialistes contactés par la RTS estiment que le magistrat encourt un rappel d'impôt, mais aussi une amende pour soustraction d'impôt. Secret fiscal oblige, quelle que soit la décision du fisc, Pierre Maudet sera le seul à la connaître. Le conseiller d’Etat sera donc aussi le seul à pouvoir la communiquer ou non à ses collègues du Conseil d'Etat et au public.