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Un don koweïtien à l'Uni de Genève suscite des questions politiques

Le sheikh Nasser Al-Mohammed, photographié ici en décembre 2014. [AFP - John Thys]
Polémique au sujet d'un don d'une famille koweitienne à l'Université de Genève / La Matinale / 3 min. / le 29 mars 2019
L'ancien Premier ministre du Koweït a offert un million de francs à l'Université de Genève en 2016. Ce don intrigue aujourd'hui plusieurs élus et la Cour des comptes aurait décidé d'enquêter, selon les informations de la RTS.

Deux députés au moins ont demandé à la Cour des comptes de se pencher sur la manière dont l’Université de Genève a peut-être un peu vite accepté ce million de francs venu du Koweït. Une enquête - plus large, sur l’apport de fonds privés - serait donc ouverte. "Nous ne faisons pas de commentaire à ce stade", a cependant fait savoir le président de la Cour François Paychère à la RTS.

Bataille judiciaire au sein de la famille régnante

Si ce don refait surface maintenant, c'est parce que des informations circulent depuis plusieurs mois à Genève dans le contexte d’une bataille judiciaire qui déchire les Al-Sabah, famille régnante du Koweït.

On trouve d'un côté le Cheikh Nasser, généreux donateur qui a été Premier ministre jusqu’en 2011. Il a quitté le pouvoir sous des accusations de corruption jamais établies à ce jour et reste malgré tout bien placé pour succéder à l’émir du Koweït.

Face à lui: son cousin, le Cheikh Ahmad, membre influent du Comité international olympique (CIO). Il est accusé d’avoir voulu salir la réputation du Cheikh Nasser.

Un don dans un contexte particulier

Et une partie de cette bataille se joue devant la justice genevoise. Le Cheikh Nasser a obtenu la mise en accusation pour faux dans les titres de son cousin et de quatre complices. Un procès doit bientôt avoir lieu et certains prévenus estiment que le million de francs offert par le Cheikh Nasser est intervenu dans ce contexte. "Ce geste était totalement désintéressé de sa part", rétorque l'un de ses avocats genevois Jean-Pierre Jacquemoud.

Un don sans conditions

Le recteur de l'Université de Genève, de son côté, assure n’avoir rien à cacher et dit avoir pris toutes les précautions nécessaires au moment d’accepter, à fin 2016, ce don spontané et sans conditions. Et du reste, l'université a reçu l’aval du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), explique Yves Flückiger.

Le recteur a même décerné une médaille au généreux donateur. "C'est à l'occasion du 50e anniversaire des relations entre la Suisse et le Koweït que la médaille a été remise à son Altesse", explique-t-il vendredi dans La Matinale. "Et la présence du DFAE était aussi une manière de signifier que les autorités fédérales - du point de vue de cette donation - avaient aussi donné leur blanc-seing."

"Pas le sentiment de m'être fait instrumentaliser"

Tous les feux étaient donc au vert et Yves Flückiger n'estime pas, rétroactivement, avoir pu être instrumentalisé. "A l'époque, j'imagine, au moment où on est entrés en négociations, le DFAE était sans doute au courant de ce qui se passait au sein de la famille royale (...) Et le DFAE ne nous a pas dit 'attention, ici on est dans un terrain difficile, problématique, donc n'allez pas plus loin'. Donc je n'ai vraiment pas le sentiment, très honnêtement, de m'être fait instrumentaliser."

L'Université estime avoir fait tout juste, mais les élus qui ont saisi la Cour des comptes semblent être d'un avis contraire. Personne ne veut s'exprimer ouvertement pour l'instant, mais le risque élevé de corruption qui prévaut au Koweït est l'argument qui revient pour estimer qu'une institution publique ne devait pas accepter de dons d'un tel pays. Les mêmes critiques ont été entendues en Grande-Bretagne lorsque le même Cheikh a offert plus de trois millions de francs à l'Université de Durham.

Le recteur genevois, lui, refuse l'idée de "blacklister" par principe des pays. Mais il se dit ouvert à augmenter encore les procédures internes de vérifications.

Ludovic Rocchi/oang

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