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Un avocat et un régisseur risquent la prison ferme pour des baux falsifiés

TEMOIGNAGE LOCATAIRE
Baux falsifiés, témoignage de l'un des locataires victime d'un avocat et d'un régisseur / L'actu en vidéo / 1 min. / le 4 avril 2019
Les deux hommes sont soupçonnés d’avoir trompé dix locataires habitant Morges et Lausanne pour procéder à des hausses de loyer massives et injustifiées. Ils sont renvoyés en jugement pour faux dans les titres.

Les deux prévenus ont agi "de concert", selon l’acte d’accusation du premier procureur genevois Stéphane Grodecki que la RTS s’est procuré. A la demande du représentant du Ministère public, ils seront jugés par le Tribunal correctionnel de Genève.

Cela signifie que Stéphane Grodecki entend requérir une peine d’au moins deux ans de prison à l’encontre des deux hommes ou de l’un d’eux. Or une telle peine est incompatible avec un sursis total. Si elle est retenue, elle se traduira donc automatiquement par de la prison ferme.

Le vrai montant du précédent loyer caché

L’acte d’accusation du 12 mars résume les faits reprochés aux prévenus. En résumé, l’avocat s’occupait de la gestion et de la location d’un immeuble appartenant à sa sœur à Morges, et d’un autre bâtiment dont il était indirectement propriétaire à Lausanne. Lors d’arrivées de nouveaux locataires, il demandait à l’agence morgienne de la régie Bernard Nicod, qui gérait alors les immeubles, de donner des informations fausses à ces nouveaux locataires sur les loyers payés par les anciens locataires.

L’acte d’accusation donne en exemple une locataire qui avait emménagé pour un loyer de 2080 francs par mois, charges comprises. La régie lui avait alors indiqué faussement que l’ancien locataire payait le même loyer. Dans les faits, il versait 1120 francs en tout, soit 960 francs de moins par mois.

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Le Ministère public genevois a renvoyé en jugement un avocat et un ancien régisseur soupçonnés d'avoir truqué des baux à loyers.
Le Ministère public genevois a renvoyé en jugement un avocat et un ancien régisseur soupçonnés d'avoir truqué des baux à loyers. / 19h30 / 2 min. / le 4 avril 2019

Un avocat richissime

Dans son acte d’accusation, le procureur Grodecki écrit que ces informations fausses étaient données "dans le but d’éviter les contestations initiales de loyers par les nouveaux locataires et de permettre une augmentation massive et injustifiée des loyers."

Le représentant du Ministère public estime que l’avocat, dont la fortune immobilière avoisine les 15 millions de francs selon ses propres dires, a agi en coactivité avec l’ancien responsable du bureau de Morges de l’agence Bernard Nicod, "dans la mesure où chaque protagoniste s’est associé et a participé pleinement à la décision, l’organisation et la réalisation de l’infraction (…) chacun voulant les actes accomplis comme si c’était sa propre action, qu’il ait ou non pris part à l’exécution proprement dite."

A aucun moment Bernard Nicod, patron du groupe éponyme, n’a été inquiété par la justice dans cette affaire.

Faux dans les titres et tentative d’escroquerie

Soupçonnés d’avoir inscrit des loyers fictifs sur des documents officiels, l’avocat genevois et l’ancien régisseur, qui ne travaille plus pour le groupe Nicod, devront répondre de faux dans les titres. L’avocat est aussi prévenu de tentative d’escroquerie. En effet, lors d’une procédure en contestation de loyer devant le Tribunal des baux et loyers du canton de Vaud, il aurait produit des contrats de bail falsifiés, "alors qu’il savait qu’ils comportaient des fausses informations sur le montant des loyers", écrit le procureur Grodecki.

Contacté par la RTS, Me Philippe Grumbach, qui représente avec Me Charles Poncet les intérêts de l’avocat incriminé, n’a pas souhaité s’exprimer. Défendant l'ancien régisseur, Me Véronique Fontana fait savoir de son côté que son client "souhaite réserver ses déclarations pour le Tribunal correctionnel", mais aussi que "toutes les explications seront données le moment venu."

Des milliers de francs payés en trop par chaque victime

L’acte d’accusation du procureur Grodecki lève le voile sur l’ampleur de la triche présumée, qui aurait eu lieu entre 2009 et 2017. Il y aurait dix locataires lésés. Neuf résidaient ou résident toujours dans un immeuble de la rue du Pont-Neuf, à Morges. Le dernier habitait au chemin du Couchant, à Lausanne.

Selon le calcul de la RTS, ces dix locataires ont payé en tout - sans le savoir - plus de 200'000 francs de plus que les locataires précédents. Exemple extrême, un locataire qui vit depuis huit ans à Morges verse chaque mois 680 francs de plus que la personne qui occupait l’appartement avant lui. En huit ans, cela représente un montant de plus de 66'000 francs versés en trop.

Possible arrangement à l'amiable avec la propriétaire

Contacté lui aussi, Me Claude Aberle, avocat de la propriétaire de l’immeuble de Morges - qui n’a jamais été mise en cause par la justice - n’a pas souhaité s’exprimer. En septembre 2018, cet avocat avait écrit un courrier à tous les locataires potentiellement lésés. "Ma cliente n’est en aucune manière mêlée à ces agissements, et regrette sincèrement qu’ils aient pu avoir lieu, si tel est le cas", écrivait-il alors.

Dans sa lettre aux locataires, l’avocat précisait que sa cliente souhaitait que, "moyennant acceptation d’une indemnisation s’il y a lieu, vous renonciez à agir, tant au pénal qu’au civil, et que vous retiriez ou révoquiez votre déclaration de participation en qualité de partie plaignante de manière définitive, si vous deviez avoir fait une telle déclaration." Pour dire les choses plus simplement, la propriétaire semble vouloir trouver un arrangement à l’amiable avec les victimes pour éviter toute démarche judiciaire.

Un locataire déjà indemnisé

La RTS a pu prendre contact avec neuf des dix locataires lésés. Sur ces neuf locataires, un seul - qui réside toujours à Morges - a déjà été indemnisé. Il a reçu une enveloppe contenant plus de 16'000 francs pour les loyers versés en trop. Il a également bénéficié d’une baisse de loyer. Il payait 2080 francs par mois et paie désormais 1650 francs.

Fabiano Citroni

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L’avocat pourrait-il être privé d’exercer?

L’un des deux prévenus, l'avocat, a été placé cinq jours en détention provisoire en juin 2018 et a vu son étude perquisitionnée. Dans son acte d’accusation, le procureur Grodecki écrit que, dans ce dossier, cet homme a agi "en sa qualité d’avocat" et non pas de particulier.

Ce que dit le Code pénal

Ce n'est pas anodin puisque l’article 67 alinéa 1 du Code pénal stipule que "si l’auteur a commis un crime ou un délit dans l'exercice d'une activité professionnelle ou d'une activité non professionnelle organisée et qu'il a été condamné pour cette infraction à une peine privative de liberté de plus de six mois, le juge peut lui interdire totalement ou partiellement l'exercice de cette activité ou d'activités comparables pour une durée de six mois à cinq ans, s'il y a lieu de craindre qu'il commette un nouveau crime ou délit dans l'exercice de cette activité."

Cet article du Code pénal sera-t-il appliqué? Le dernier mot reviendra au Tribunal correctionnel qui devrait se pencher sur ce dossier l'automne prochain.

Procédure en attente à la Commission du barreau

L’avocat mis en cause devra aussi rendre des comptes à la Commission du barreau, qui est l’organe officiel chargé de la surveillance des avocats. Contacté, le président de cette commission, Me Shahram Dini, ne s’exprime pas sur les cas particuliers mais rappelle la règle: il explique que lorsqu’une procédure pénale est ouverte à l’encontre d’un avocat, la commission est systématiquement informée.

Elle ouvre alors à son tour une procédure qui est souvent suspendue dans l’attente de l’issue de la procédure pénale. Indépendamment de la décision des tribunaux, la commission peut prendre une des mesures disciplinaires énumérées à l’article 17 de la Loi fédérale sur la libre circulation des avocats. Ces mesures vont de l’avertissement à l’interdiction définitive de pratiquer.