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Antonio Hodgers attaqué en justice par les lanceuses d’alerte du Service des votations genevois

Affaire de soupçons de fraude électorale à Genève : une plainte pénale vise le conseiller d’État Antonio Hodgers
Affaire de soupçons de fraude électorale à Genève : une plainte pénale vise le conseiller d’État Antonio Hodgers / Forum / 3 min. / le 7 septembre 2020
Le président du Conseil d’Etat genevois Antonio Hodgers est visé par une plainte pénale pour violation du secret de fonction et diffamation, a appris la RTS. Elle émane des deux employées qui avaient dénoncé des dysfonctionnements au sein du Service des votations. L'élu déclare ne pas être au courant de cette procédure.

Les deux auxiliaires qui avaient dénoncé l’an dernier des pratiques litigieuses au sein du Service des votations et élections (SVE) se battent depuis un an pour obtenir leur réhabilitation.

Elles ont porté plainte au début de l’année contre Antonio Hodgers, a appris la RTS. Elles l’accusent de violation du secret de fonction et de diffamation. Au centre de cette action en justice se trouve une interview qu'a donnée le président du Conseil d'Etat genevois au journal Le Courrier, le 27 décembre dernier.

Antonio Hodgers y conteste la qualité de lanceuses d'alerte des deux femmes mettant notamment en cause leur bonne foi. Il précise aussi le cahier des charges de l'une d'elle, ce qui la rend potentiellement identifiable. Le conseiller d'Etat donne encore des détails concernant l'enquête ouverte l'an dernier par la justice pour fraude électorale, qui avait donné lieu à une arrestation. Résultat: les deux auxiliaires et leurs avocats, Me Thomas Barth et Romain Jordan, attaquent Antonio Hodgers et demandent sa levée d'immunité.

Une plainte, deux procédures

Le Ministère public genevois ne fait pas de commentaires sur ce dossier. Mais, selon les informations de la RTS, il a ouvert en avril deux procédures distinctes sur la base de cette plainte. L'une pour violation du secret de fonction et diffamation s'agissant des propos tenus sur les deux auxiliaires. Et une autre, toujours contre Antonio Hodgers, pour violation du secret de fonction concernant les détails de l'enquête pour fraude. C'est ce qu'on appelle une "disjonction" en droit. La raison est toute simple: dans le premier cas, les deux employées sont clairement concernées par les infractions potentielles, alors qu'elle ne le sont pas dans le deuxième cas.

Cette bataille judiciaire s'inscrit dans un combat plus large des deux auxiliaires. Cela fait maintenant un an que ces deux femmes ne sont plus appelées par leur employeur, le SVE, alors qu'elles y ont travaillé sans discontinuer pendant plus de dix ans. La chancellerie genevoise leur a expliqué qu'étant les dénonciatrices de la procédure pénale pour fraude électorale, elles ne seraient plus rappelées le temps de l'instruction.

Aujourd'hui, cette procédure est classée. Et les deux auxiliaires n'ont toujours pas été réintégrées. Pire: elles sont, depuis le mois de juillet, sous le coup d'une procédure de résiliation des rapports de service pour "manquements aux devoirs du personnel". Et leur demande de réintégration et d'indemnisation a essuyé le refus d'Antonio Hodgers, le 11 août dernier.

Témoignages utiles à la Cour des comptes

Cette posture de l’Etat de Genève peut surprendre. L'an dernier, les deux auxiliaires avaient dénoncé des pratiques litigieuses au sein du SVE à la Cour des comptes. Or, celle-ci, loin de prendre ses distances avec elles, leur a indiqué avoir pris en compte leurs témoignages lors de son audit sur le vote par correspondance, fin février. Dans un courrier du mois de mars, elle les invite même à reprendre contact avec elle si elles devaient découvrir d'autres faits.

Un autre élément tend à montrer la bonne foi des deux employées: la procédure pour fraude électorale de l'an dernier. Elle a certes été classée et le prévenu acquitté, mais ce dernier a été condamné aux frais de procédure, selon l’ordonnance de classement partiel que la RTS s’est procurée.

Le parquet écrit que cet homme, qui était le collègue des deux auxiliaires, a délibérément violé les devoirs inhérents à ses fonctions, en échangeant des bulletins d'une urne à une autre. Il a également consommé des substances illicites dans les locaux du service, ce qui lui a valu une condamnation par ailleurs. Enfin, il a créé l’apparence d’une situation contraire au droit, en se vantant d’être en mesure de modifier les résultats des votations et d’aller vendre des votes. Ce qui a pu induire ses propres collègues en erreur, dont les deux auxiliaires.

>> Le statut de lanceur d'alerte en question à Genève. Le point dans le 12h30 :

La Ville de Genève va renommer dix rues et places pour rendre hommage à des femmes marquantes. [KEYSTONE - Salvatore Di Nolfi]KEYSTONE - Salvatore Di Nolfi
Antonio Hodgers attaqué en justice par les lanceuses d’alerte du Service des votations genevois / Le 12h30 / 2 min. / le 8 septembre 2020

Raphaël Leroy/ther

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"Je n'étais pas au courant"

Interrogé lundi dans l'émission Forum,  Antonio Hodgers a expliqué ne pas avoir été mis au courant de cette plainte avant les révélations de la RTS. "Je l'ai appris lors de votre invitation", a-t-il confié.

Le président du Conseil d'Etat genevois a dit se mettre "à la disposition du Ministère public", tout en restant relativement "serein" sur l'issue de cette procédure.

L'élu écologiste a aussi tenu à revenir sur les propos qu'il a tenus au Courrier, au mois de décembre 2019: "Il s'agit de propos tenus dans le cadre de mes fonctions, à un moment où la population et les médias avaient besoin d'explications. C'est-à-dire de comprendre ce qu'il s'est réellement passé au Service des votations et élections. Je rappelle que le Ministère public a enquêté de longs mois sur la supposée fraude électorale et qu'il n'a rien trouvé. La Cour des comptes a fait de même et elle n'a rien trouvé non plus (...) il n'y aucune preuve d'une quelconque fraude électorale."

Et d'ajouter: "Les faits avaient déjà été évoqués par la presse. Cela voudrait dire que la presse pourrait révéler des faits sur ces personnes, sur leurs arrestations, sur leurs rôles au sein du service des votations et que son employeur ne pourrait pas, dans une explication à l'égard de la population, reprendre ces faits."

"C'est un dilemme cornélien"

Antonio Hodgers estime par ailleurs se trouver dans une situation inconfortable, où il est difficile de se défendre sans violer le secret de fonction: "Concernant la procédure administrative, je ne peux en effet pas me prononcer publiquement. Comme élu, on ne peut pas commenter, on ne peut pas contredire et donc ni confirmer ni infirmer ce qui a été dit, et c'est un espèce de dilemme cornélien dans lequel on est lorsqu'une affaire qui concerne du personnel est porté au public (...) Je pense qu'il y a ici un point de tension où, si on ne commente pas, ce qui est juste d'un point de vue judiciaire, et bien politiquement, ça ne joue pas, puisqu'on attend de l'élu qu'il s'explique sur ce qu'il se passe dans ses services. Et puis, si on commente, c'est une violation du secret de fonction."

Le président du Conseil d'Etat genevois a toutefois réitéré ses propos en contestant la qualité de lanceuses d'alerte des auxiliaires: "La loi dit que pour être qualifié de lanceurs d'alerte, il faut dénoncer des faits réels. En l'occurrence, les allégations des dénonciatrices portaient sur la fraude électorale, des centaines de bulletins falsifiés et des élections truquées. Souvenez-vous des charges qui étaient portées et quelle est la conclusion univoque du Ministère public. C'est qu'il n'y a pas eu de fraudes électorales."

>> Réécouter la réaction intégrale d'Antonio Hodgers dans Forum :

Réaction d’Antonio Hodgers à la plainte pénale dont il fait l’objet
Réaction d’Antonio Hodgers à la plainte pénale dont il fait l’objet / Forum / 4 min. / le 7 septembre 2020