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Crise identitaire au sein du CICR? Des discussions internes révèlent le malaise

Le CICR réalise un plan d'économies: à l'interne, des voix s'élèvent pour critiquer la gestion de l'organisation humanitaire.
Le CICR réalise un plan d'économies: à l'interne, des voix s'élèvent pour critiquer la gestion de l'organisation humanitaire.
La semaine dernière, l’officialisation d’un plan d’économies et de licenciements décidé par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a ravivé le malaise au sein de l’institution. Une conférence téléphonique dont la RTS a obtenu le compte-rendu témoigne d’un climat de tensions : plusieurs cadres y font part de leur méfiance.

Au cours de la discussion, les questions et remarques fusent. On se demande si la situation actuelle est "la conséquence" de "la croissance super rapide du budget", on juge que le CICR est géré "comme une multinationale", qu'il a "perdu de vue son mandat" mais aussi "son âme".

Si les reproches sont parfois acerbes, une critique semble revenir comme un mantra: le CICR aurait grandi trop vite.

Budget doublé en 10 ans

En l'espace d'une décennie seulement, le budget du comité a en effet doublé. Cette croissance s'est accompagnée de changements importants dans le style de management, comme en témoigne par exemple le recrutement à prix d'or de cadres venus du secteur privé et sans aucune expérience de l'humanitaire.

Une mutation mal vécue par une partie du personnel, comme l'attestent plusieurs témoignages* recueillis par la RTS, qui font état de "perte de repères", de "crise de leadership et d'identité", et d'un management "importé tout droit de la Sillicon Valley".

Interrogé à ce sujet, le directeur général Robert Mardini assume ces évolutions. "C'est quelque chose que nous écoutons, mais le CICR est aujourd'hui une organisation de 20'000 personnes, il doit être géré de manière rigoureuse et non pas comme une entreprise familiale".

Un mandat dilué ?

Au-delà des ressources humaines, c'est la stratégie globale du CICR qui est questionnée. Selon les critiques, la comité se serait éloigné de son coeur de métier, à savoir le respect des conventions de Genève, pour devenir une véritable multinationale de l'humanitaire.

C'est en tout cas l'analyse que fait Thierry Germond, ancien délégué aujourd'hui à la retraite: "le mandat fondamental a été dilué et on ne sait plus très bien de quoi s'occupe le CICR".

De son côté, la direction justifie la croissance de son budget en expliquant qu'elle était nécessaire pour faire face à l'augmentation des besoins. Robert Mardini évoque "des conflits armés gangrénés" qui se multiplient et sont "sans solution politique".

Un argument qui ne convainc pas Thierry Germond: "Quand le CICR dit qu'il n'y a jamais eu autant de victimes et de conflits dans le monde, c'est faux." Dans les faits, les données statistiques indiquent bien que le nombre et l'intensité des conflits dans le monde a tendance à diminuer - même si la guerre continue à faire des ravages parmi les civils dans de nombreuses régions du monde.

"Collusion" avec les milieux économiques

Thierry Germond ne s'arrête toutefois pas là dans ses critiques. Depuis plusieurs années, il multiplie les interpellations contre la direction, en fustigeant en particulier l'appartenance de Peter Maurer, président du CICR, au conseil de fondation du World Economic Forum (WEF)

"Le mandat et la mission du WEF n'a rien à voir avec le mandat du CICR. Je dirais même qu'ils sont incompatibles et en opposition. Le CICR n'a pas à faire la promotion du néo-libéralisme ou celle des multinationales." Une critique que les dirigeants bottent en touche en évoquant le besoin pour le CICR "de diversifier ses sources de financement", tout en assurant rester "fidèle à ses principes et ses valeurs."

Mais le sujet continue à provoquer l'embarras au sein de l'organisation.

Tristan Dessert/ther

*La majorité des intervenants de la conférence téléphonique ont préféré rester anonymes, comme tous les employés à qui la RTS a pu parler.

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Le racisme s'invite dans les discussions

Autre débat qui agite en ce moment le comité: la problématique du racisme. Dans le sillage du mouvement "Black lives matter", certains dénoncent un "racisme institutionnel" au sein de l'organisation.

La question est prise au sérieux par la direction selon Robert Mardini: "il y a parfois des comportements racistes au CICR. Des comportements biaisés qui créent beaucoup de souffrance. Je dois avouer que je ne m'attendais pas à ce que ce le problème soit d'une telle ampleur."

Dans une lettre adressée aux employés, le président Peter Maurer dit regretter que "le CICR ait contribué" et qu'il "contribue encore aujourd'hui" à ces souffrances.

Ces discussions irritent par ailleurs un certains nombre d'employés, agacés de voir une problématique directement importée des Etats-Unis risquer de saper les valeurs universalistes de l'institution.