"Les femmes se sentent en insécurité dans l'espace public en raison du sexisme. Or les lieux de loisirs où elles se sentent en sécurité ne sont financièrement pas accessibles à toutes les catégories sociales. La conjonction de ces deux phénomènes est frappante", a déclaré mardi devant les médias le conseiller administratif Alfonso Gomez, magistrat de tutelle du service Agenda 21 - Ville durable.
Basée sur des discussions menées fin 2019 auprès de 80 femmes, réparties en douze groupes représentatifs de la population, l'enquête sur les pratiques des femmes dans les espaces publics confirme que ces derniers ont un genre, a expliqué Marylène Lieber, professeure en études genre à l'UNIGE. Les bars sont plus masculins, les commerces plus féminins, alors que les parcs et restaurants sont mixtes.
Expériences contrastées
"Les expériences des femmes sont contrastées", relève la sociologue. Les femmes des catégories moyennes et supérieures profitent plus de la ville et des activités culturelles. Loin de la mobilité pendulaire des travailleurs masculins, les femmes se déplacent près de chez elles, dans une "extension de l'espace domestique". Elles se sentent plus légitimes dans les magasins que dans la rue, même si elles ne vont rien acheter.
Occupé par les hommes, l'espace public apparaît comme un lieu d'interactions non désirées - remarques, attouchements - où les femmes doivent constamment gérer l'insécurité et négocier leur légitimité. Elles vont prendre plus de précautions la nuit. La notion de risque est élaborée très tôt pour les jeunes filles, alors que leurs aînées ont appris à faire avec les contraintes.
"En état d'alerte"
"Si le sexisme est un obstacle majeur, le racisme, l'islamophobie, l'homophobie ou l'absence de statut légal constituent d'autres formes de discriminations", relève Mylène Lieber. Les femmes adaptent leur façon de se déplacer. Par exemple, certaines préfèrent aller à pied, mais elles cessent de le faire à la nuit tombée. Et les moins sûres d'entre elles vont normaliser leur apparence pour éviter des désagréments.
Selon la professeure, l'enquête montre que les femmes ne se laissent pas faire et qu'elles développent des stratégies, comme de ne pas sortir seule le soir. "Il s'agit toujours de prévoir, d'anticiper. Elles sont en état d'alerte", analyse-t-elle.
Objectif zéro sexisme
Le rapport émet cinq séries de recommandations qui vont de la mise en place d'une politique favorisant l'accès à la ville pour tous les niveaux socio-économiques à la formation des chauffeurs des transports publics et de la police municipale, en passant par l'aménagement du territoire et la sensibilisation aux discriminations de genre.
La Ville de Genève a annoncé que le troisième volet de sa campagne "Objectif zéro sexisme dans ma ville" aura lieu du 9 au 29 novembre, avec trois visuels sur la liberté de faire du sport, de flâner et de se déplacer sans être harcelée. "Les violences dans l'espace public ne sont que la pointe de l'iceberg. La question du genre est bien plus prégnante", a souligné Héloïse Roman, chargée de projets égalité au service Agenda 21-Ville durable.
En raison de la situation sanitaire, le quatrième visuel sur le droit de faire la fête en toute sérénité n'est pas diffusé. Et une partie des activités - une balade publique scénarisée, des ateliers de courage civique et d'autodéfense - est reportée au mois de mars.
ats/kkub