Les Genevoises et Genevois en font régulièrement l'expérience, les statistiques le confirment: lors d'un déménagement, le prix de leur logement grimpe, parfois considérablement.
La RTS a obtenu de l'Office cantonal de la statistique (OCSTAT) le montant des loyers payés pour plus de 20'000 logements du canton. Ces chiffres permettent de constater à quel point les changements de locataires contribuent à la hausse des prix.
Les changements de locataires dopent les loyers
En moyenne, un appartement qui a connu un nouveau résident dans les 10 dernières années est presque 1,5 fois plus cher (+43%) qu'un bien dont l'occupant est resté le même.
Selon Pierre Stastny, juriste à l’ASLOCA-Genève, cette différence indique "une hausse des rendements des propriétaires, qui sont le plus souvent excessifs". A ses yeux, la signature d’un nouveau bail devient "un outil pour gonfler le loyer, à tel point que certains propriétaires concluent uniquement des baux à durée déterminée".
Du côté des propriétaires le son de cloche est bien différent. Pour Christophe Aumeunier, secrétaire général de la Chambre genevoise immobilière, ces augmentations sont économiquement compréhensibles. "Il faut les mettre en rapport avec la pénurie de logements qui sévit à Genève et le niveau relativement élevé des revenus. La hausse des charges qui pèsent sur les propriétaires explique également cette situation", estime le représentant de la branche.
La pénurie de logements est une réalité dans le canton depuis des années. Les salaires médians standardisés du canton ont progressé de 1,4% entre 2008 et 2018 selon les statistiques officielles, un peu plus que l'inflation mesurée sur la même période. Il n'existe aucun document chiffrant globalement l'augmentation des frais à charge des détenteurs de biens immobiliers.
Souvent plus de 10% d'augmentation
La différence de traitement entre anciens et nouveaux locataires découle directement des hausses pratiquées par les propriétaires et régies lors des déménagements. L'échantillon représentatif de l'OCSTAT recense 1700 changements de locataires en loyer libre ces cinq dernières années. Près de la moitié ont donné lieu à une augmentation de loyer excédant 10%. "Hors circonstances exceptionnelles, une hausse dépassant ce seuil pour un loyer déjà actualisé dans les 10 ou 15 dernières années peut être contestée en justice" explique Pierre Stastny.
Certains baux très anciens, bien en dessous des prix usuels, sont mis au niveau du marché actuel. Mais les contrats surannés ne sont pas les seuls concernés. Un tiers des hausses de plus de 10% concernait des logements dont le prix au mètre carré avant augmentation dépassait déjà la moyenne cantonale.
Selon Christophe Aumeunier, ces hausses n'en sont pas moins nécessaires pour "permettre des améliorations et rénovations du parc immobilier ainsi que pour adapter les rendements des propriétaires au contexte économique".
Les prix élevés seraient donc nécessaires pour développer l'offre immobilière. Favorisent-ils également la construction? Du côté des défenseurs des locataires, la réponse est clairement non. Pour Pierre Stastny, "tous les experts et rapports le disent, le vrai moteur de la construction de nos jours, ce sont les taux négatifs, pas les promesses de rendements élevés".
Peu de contestations
Quoi qu'il en soit, la plupart de ces nouveaux loyers ne sont pas abusifs, au sens de la loi. La raison en est simple: un loyer qui n'est pas contesté n'est jamais abusif, dans un système de surveillance et non de contrôle.
Or, très peu de personnes contestent le montant lorsqu'elles emménagent. Selon les estimations, elles seraient autour de 1%. C'est donc l'offre et la demande qui font foi.
Variations et écarts entre quartiers
Certains quartiers connaissent des progressions du prix au m2 sur cinq ans spectaculaires. Ainsi, la carte de l'évolution des loyers en ville de Genève dévoile des pics de +25% sur certaines zones.
Ces surchauffes localisées créent une grande disparité entre quartiers. Un constat qui est aussi valable à l'échelle cantonale. Ainsi, un logement au coeur de la vieille ville se payera 2,5 fois plus cher au m2 que dans les quartiers les moins courus, comme celui de Vieusseux, et 2 fois plus que dans le quartier du Lignon, à Vernier.
Sur la base de ces données l'OCSTAT propose un calculateur qui permet de comparer votre loyer avec la moyenne des loyers de logements similaire. Il est accessible ici.
Tybalt Félix
Votre nouveau loyer est-il contestable ?
Il n’y a pas de règle absolue en termes de loyer abusif, le terme consacré dans la loi qui limite la marge de manœuvre des propriétaires. Quelques principes se dégagent toutefois de la jurisprudence concernant les hausses liées à un changement de locataire :
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La hausse dépasse 10% : une contestation est probablement envisageable. Si le loyer antérieur était très en-dessous de la norme, la hausse peut passer la rampe. Dans le cas contraire, c’est très improbable, même en cas de rénovation du bien (la loi genevoise limite fortement les possibilités de hausse dans ce cas). En tous les cas, le propriétaire devra collaborer avec la justice pour apporter des éléments justifiant cette hausse de loyer.
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La hausse est inférieure à 10% :Il incombe au locataire de prouver que la hausse est excessive, soit :En trouvant 5 biens tout à fait comparables à des prix inférieurs. Ces biens doivent présenter une totale similarité avec le logement concerné: situation, superficie, équipements...Si l’immeuble a été construit ou acquis dans les trente ans, en établissant le rendement abusif réalisé par le propriétaire sur ce bien.
A noter encore que le Tribunal fédéral a ajusté récemment sa jurisprudence en augmentant les rendements et donc les majorations possibles.
Coopératives, contre-modèle ou danger?
Comment expliquer que la construction de coopératives demeure dynamique en pratiquant des loyers fixes sans générer de perte?
Pour Christophe Aumeunier, de la Chambre Genevoise Immobilière, le modèle coopératif tel qu'il est appliqué à Genève ne constitue pas une parade aux logements chers mais un risque systémique: "il est déraisonnable de lancer des opérations immobilières avec seulement 5% de fonds propres, les risques sont importants de ne pas pouvoir faire face à une hausse des taux hypothécaires et aux besoins d’entretien des immeubles".
Pierre Stastny, juriste à l'Asloca, doute que les coopératives soient les plus exposées si les taux grimpent: "le montant total des hypothèques en Suisse est gigantesque. Si les taux grimpent, c'est tout le secteur qui sera confronté à des difficultés. Dans les coopératives, le risque est partagé, ce qui n'est pas le cas pour les propriétaires individuels. Le type de financement – prêts à long terme à taux bas – et la qualité des biens construits les rendent au contraire moins exposées en cas de hausse des taux, comme l’a reconnu le Conseil fédéral en août 2017 en réponse à une interpellation parlementaire".