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Après 20 ans sans salaire, des employées de diplomates à Genève se rebiffent

Femmes de ménage sans salaire
Femmes de ménage sans salaire / Mise au point / 16 min. / le 6 juin 2021
Elles sont une demi-douzaine pour un mouvement sans précédent dans la Genève internationale: des domestiques philippines se rebiffent contre les membres de la mission pakistanaise à l’ONU. Elles affirment qu’elles sont employées par les diplomates sans être payées, depuis vingt ans pour trois d’entre elles.

Rosario est arrivée en 2002 à Genève, laissant trois enfants aux Philippines. Issue d’une famille très modeste, elle croit avoir trouvé une aubaine, confie-t-elle dimanche dans Mise au Point: un contrat à 1500 francs plus la nourriture, le logement, l’assurance et l’AVS au pays.

Mais à son arrivée à Genève, raconte-t-elle, on lui explique l’arrangement: en fait, elle ne touchera rien du tout mais recevra seulement une carte de légitimation qui lui donnera un statut en Suisse. Pour ce qui est des revenus, ce sera à elle de trouver des petits boulots au noir dans des familles genevoises, après son travail pour les diplomates pakistanais.

Pour Rosario, le système a duré jusqu’au début de cette année, soit près de 20 ans, et au service de six diplomates successifs.

Une "exploitation crasse de la force de travail" dénoncée

Mise au Point a contacté le dernier secrétaire de la mission chez qui travaillait Rosario, un homme qui prononce régulièrement des discours devant les autres diplomates au Palais de l’ONU. Il affirme qu’il payait bien Rosario mais ne pas avoir de relevés bancaires car il la payait en cash.

Ces femmes sont allées se plaindre au syndicat SIT et certaines ont déposé des plaintes pénales contre les diplomates qui les ont employées.

Mirella Falco, du SIT, explique que le régime des cartes de légitimation est spécifique au monde de la diplomatie: "Cette carte est reliée à l’employeur et si l’employeur met fin au contrat, il n’y a plus de permis de séjour et l’employé n’a plus aucune raison d’être en Suisse." Elle voit dans le système qui aurait été mis en place au sein de la mission pakistanaise "de l’exploitation crasse de la force de travail et une atteinte à la dignité humaine".

La mission pakistanaise se défend

Les femmes de ménage exploitées à Genève ont choisi de sortir du silence. [RTS]
Les femmes de ménage exploitées à Genève ont choisi de sortir du silence. [RTS]

Interpellée, la mission pakistanaise qui fait la demande de ces cartes de légitimation a répondu à la RTS que "les témoignages mentionnant du travail non payé à une échelle systémique sont à la fois malveillants et faux. Le bien-être de nos employés est parmi nos premières priorités".

C’est la Mission suisse auprès de l’ONU qui distribue ces cartes de légitimation et surveille le respect des contrats des employés. Elle dit les recevoir en personne une fois par année. Le chef de la mission, Jürg Lauber, confirme une plainte liée à la mission du Pakistan: "Il y a quelques personnes qui n’ont pas respecté les règles. On est en train de rectifier ça. On a pris contact avec la mission, il faut s’assurer que les droits des employés domestiques soient respectés."

La Mission suisse dit ne pas être informée de pratiques similaires dans d’autres missions étrangères à Genève. Mais Angela, qui aussi porté plainte pour travail non payé chez des diplomates pakistanais (interrogé, le dernier en poste nie ces accusations), estime que beaucoup de membres de la communauté philippine sont ainsi exploités.

Elle dit avoir elle-même travaillé un an sans salaire pour la mission d’un autre pays qu’elle ne souhaite pas nommer. Ce qui a décidé Angela à se plaindre, c’est l’agressivité des diplomates pakistanais et le fait de se retrouver acculée avec le Covid. Tous ses employeurs au noir ont cessé de l’appeler depuis le début de la pandémie et elle a été obligée de s’endetter pour continuer à travailler gratuitement.

>> Les précisions de Sébastien Faure dans Mise au Point :

Sébastien Faure, auteur de l'enquête « Femmes de ménage sans salaire »
Sébastien Faure, auteur de l'enquête « Femmes de ménage sans salaire » / Mise au point / 3 min. / le 6 juin 2021

Sébastien Faure/boi

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