Après six ans de combat judiciaire, Yves Bouvier tient sa victoire. Dans le petit appartement genevois qui lui sert désormais de bureau, l’homme savoure le classement de la procédure engagée contre lui par Dmitri Rybolovlev. "Mon nom a été sali et ma famille a souffert. J’ai dû fermer certaines de mes sociétés et mes employés ont dû en assumer les conséquences. Maintenant, je vais pouvoir tourner cette page et passer à autre chose", confie-t-il à la RTS.
Un conflit débuté en 2015
Le conflit entre Yves Bouvier et Dmitri Rybolovlev remonte à 2015. L’oligarque russe lui reproche alors de lui avoir revendu avec des marges de centaines de millions de francs des tableaux de maître, dont le Salvator Mundi, attribué à Léonard de Vinci, ou un nu couché de Modigliani. Le Russe porte d’abord plainte à Monaco puis en Suisse.
Aujourd’hui, la justice genevoise, comme la justice monégasque avant elle, estime que la procédure a été largement tronquée. Dans son ordonnance de classement, le premier procureur Yves Bertossa relève que, "bien que les procédures pénales monégasques et genevoises soient indépendantes l’une de l’autre, les comportements déloyaux et illicites adoptés par les parties plaignantes à Monaco rejaillissent inévitablement sur la procédure genevoise, qui non seulement porte sur les mêmes faits et implique les mêmes parties, mais qui a également été alimentée en grande partie par les actes d’enquête exécutés à Monaco (…) Le Ministère public genevois considère dès lors que les circonstances exceptionnelles qui ont conduit à l’annulation de la procédure pénale à Monaco et à l’inculpation de Dmitri Rybolovlev en ce même lieu pour trafic d’influence actif, corruption active et recel de violation du secret professionnel, rendent impossible la conduite de la présente procédure."
Accusations d'escroquerie écartées
Le premier procureur Bertossa écarte également les accusations d’escroquerie portées à l’encontre du marchand d’art. "Quelle que soit la nature juridique des relations entre les parties, il est établi qu’Yves Bouvier s’est livré dans ces échanges de courriels à de multiples affirmations mensongères, en faisant notamment croire aux parties plaignantes qu’il déployait tous les efforts possibles pour négocier les œuvres convoitées au prix le plus avantageux pour elles et en interposant des acheteurs fictifs, admettant lui-même avoir agi ainsi pour augmenter le prix de vente des œuvres vendues à Dmitri Rybolovlev. Si le comportement d’Yves Bouvier est largement critiquable, pour ne pas dire plus, force est de constater que ces affirmations mensongères n’ont pas été étayées par la production de faux documents ou par des montages complexes invérifiables (…) Les éléments constitutifs de l’infraction ne sont pas réalisés."
L’affaire est donc classée, mais la vie d’Yves Bouvier a été bouleversée par ce bras de fer. Jusqu’à ce conflit, l’homme était surnommé le roi des ports-francs, entreposant dans le monde entier les plus beaux tableaux. Sa fortune était alors estimée à plus de 300 millions de francs. Une fortune dont il dit avoir perdu une grande partie.
"Il a détruit mon business"
Aujourd’hui, il travaille dans un deux pièces genevois et dit avoir dépensé 40 millions de francs en frais d’avocats. Il s’apprête à réclamer à Dmitri Rybolovlev des dommages et intérêts astronomiques. "On va demander une prétention qui correspond au dommage réel subi qui est de l’ordre de plus d’un milliard, confie Yves Bouvier. Il a détruit mon business, il a détruit le business des ports-francs, il a détruit le business des transports, il a détruit mes galeries d’art. J’avais quand même six galeries dans le monde! Il a détruit mon commerce de l’art, mes ateliers de restauration, mes ateliers d’expertises, d’analyses, donc partout où j’étais."
Dépôt d'un recours
L’affaire est classée, mais pas terminée. Les avocats de l’oligarque russe annoncent le dépôt d’un recours. "Il est essentiel que cette affaire, l’une des plus graves que le monde de l’art ait jamais connue, soit dûment instruite et enfin jugée au fond, qui plus est en Suisse, l’un des principaux centres internationaux du marché de l’art, afin d’amener la sécurité et la transparence dont il a besoin", écrivent Mes Sandrine Giroud et Marc Henzelin dans un communiqué de presse.
Pour eux, "le double jeu d’Yves Bouvier et de ses acolytes ressort sans équivoque des documents figurant déjà dans le dossier du Ministère public genevois, notamment de nombreux emails. L’affaire devra être dûment instruite par le ministère public et soumise, le moment venu, au jugement du tribunal."
Gilles Clémençon, Flore Amos et Fabiano Citroni