Après les différentes révélations et témoignages autour de l'école et la compagnie du Béjart Ballet, qui ont contraint la ville de Lausanne à lancer un audit externe, c'est au tour de Genève d'être interpellée au sujet d'abus dans le monde de la danse.
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Dans une longue enquête de quatre pages publiée mercredi, le journal Le Temps expose dans le détail plusieurs témoignages de danseuses et danseurs qui ont subi des abus et du harcèlement sexuel de la part du directeur d'Alias.
Deux décennies d'impunité
Ce dernier, qui était également le chorégraphe de la compagnie, a été condamné fin août à cinq mois de prison avec sursis pour attouchement sexuel, pour des faits qui remontent à 2018 lors d'un stage donné aux jeunes d'une autre compagnie. Il a fait appel.
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Selon l'enquête du Temps, l'homme aurait commis des actes d'abus et de harcèlement sexuel sur des danseuses de manière systématique pendant plus de 20 ans sans être inquiété, alors même que le milieu culturel et les autorités de subvention auraient été informés.
Les autorités informées
Les témoignages détaillés comprennent des attouchements, des rapports sexuels pour décrocher un rôle, des auditions qui se terminaient au domicile du directeur, ou encore des carrières stoppées net après que certains ont osé dénoncer ces abus au Service culturel de la Ville de Genève.
En outre, trois témoins disent avoir averti les autorités culturelles genevoises à l'époque. Mais ces dernières "ne s'en souviennent pas". Il a fallu le jugement de cet été pour que les subventions de Pro Helvetia, du canton, de la Ville de Genève et de la commune de Meyrin soient suspendues.
En réaction, le collectif d'artistes Arts_Sainement appuyé par le Syndicat suisse romand du spectacle (SSRS) a demandé un audit à la Ville de Genève. Le responsable genevois de la culture Sami Kanaan a reçu cette demande mercredi matin. Ils souhaitent savoir exactement ce qui s'est passé et, surtout, comprendre comment de tels agissements ont pu perdurer aussi longtemps dans le silence.
Parallèlement une motion co-écrite par ce collectif et Ensemble à Gauche a été déposée au Grand Conseil genevois fin août. Elle demande des outils pour lutter efficacement contre les agressions, le harcèlement et les discriminations dans les domaines des arts, de la culture et des sports.
Un #MeToo de la danse?
L'audit doit pouvoir "faire toute la lumière sur ce qu'il s'est passé au sein de cette compagnie, et voir ce qui a pu entraîner cette omerta", explique Anne Papilloud, secrétaire générale du SSRS, qui dit n'avoir eu elle-même connaissance de ces faits que très récemment.
Après l’affaire du Béjart Ballet Lausanne où un audit est toujours en cours et où il s’agit aussi une compagnie largement subventionnée par des fonds publics, la syndicaliste pense que "nous sommes à un tournant dans le monde de la danse, où la nouvelle génération veut libérer la parole".
Valérie Hauert/jop
Anne Papilloud: "Une immense colère"
Anne Papilloud, la secrétaire générale du Syndicat suisse romand du spectacle, dit ressentir une "immense colère" après la révélation de l'affaire, mettant l'accent sur le fait que ces actes aient pu se passer pendant "si longtemps" avec une "omerta généralisée".
"J'ai aussi un grand respect pour les personnes qui ont témoigné à visage découvert. Tout comme pour la plaignante et son avocate, qui ont mené un combat courageux. Sans elles, on ne pourrait pas avancer et l’omerta continuerait de régner", a déclaré mercredi Anne Papilloud dans l'émission Forum.
"Protéger les professionnels" est désormais la principale préoccupation de son syndicat. "Un audit permettrait aux autorités de voir ce qui a mal fonctionné."