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Des déchets genevois parcourent des kilomètres en camion pour être brûlés ailleurs

Des centres de tri genevois incinèrent leurs déchets à des centaines de kilomètres
Des centres de tri genevois incinèrent leurs déchets à des centaines de kilomètres / 19h30 / 4 min. / le 19 décembre 2021
Le canton de Genève dispose de la plus importante usine d'incinération des déchets du pays. Pourtant, plusieurs entreprises genevoises de tri n'hésitent plus à parcourir des centaines de kilomètres en camion pour brûler leurs déchets à l'autre bout de la Suisse, voire en Allemagne, a appris le 19h30.

Fin octobre, sur l'autoroute A1 en direction de Lausanne, un camion s'est renversé. Le semi-remorque a bloqué le trafic pendant des heures, mais il a

Un camion se renverse sur l'autoroute A1
Un camion se renverse sur l'autoroute A1

surtout révélé un contenu surprenant: plusieurs tonnes des vieux journaux, du carton, du plastique et autres déchets mélangés.

Ces déchets provenaient d'une entreprise de tri genevoise et étaient convoyés vers un centre d'incinération situé à plus de 100 kilomètres de là, pour être brûlés.

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Plusieurs camions comme celui-ci, remplis de déchets, prendraient la route chaque matin depuis Genève en direction d'usines d'incinération situées notamment dans les cantons du Valais, de Berne, de Soleure ou d'Argovie. Mais aussi à Allmendingen, dans le sud-est de l'Allemagne.

Accroître les marges

Les déchets effectuent ainsi un parcours de centaines de kilomètres, alors que Genève dispose du plus important centre d'incinération du pays, les Cheneviers. Située dans la commune d'Aire-la-Ville, cette usine est le troisième producteur d'électricité du canton.

Les déchets genevois parcourent des centaines de kilomètres avant d'être brûlés. [RTS]
Les déchets genevois parcourent des centaines de kilomètres avant d'être brûlés. [RTS]

Depuis plusieurs mois, on observe pourtant une diminution des quantités livrées dans la gigantesque fosse à déchets. Selon le directeur des Services industriels de Genève (SIG) Christian Brunier, la baisse atteint entre 30'000 et 40'000 tonnes sur un an.

"Nous avons d'abord vu des écarts de tonnage par rapport aux années précédentes. Puis des usines d'incinération de l'autre côté de la Suisse nous ont dit que des Genevois leur demandent de faire des prix pour accroître leurs marges", raconte le directeur des SIG dimanche dans le 19h30.

Problème, poursuit Christian Brunier, ces recycleurs genevois factureraient leurs clients selon la grille tarifaire des Cheneviers. "Ensuite, ils font de la rentabilité en allant ailleurs, en faisant du dumping. Donc écologiquement c'est une débâcle. Économiquement aussi", déplore-t-il.

L'incinération la plus chère de Suisse

Dans le canton de Genève, une quinzaine de firmes privées collectent et recyclent les déchets des communes et des entreprises. Tout ce qu'elles n'arrivent plus à valoriser est brûlé. La plupart amènent ses refus de déchets aux Cheneviers. Une tonne brûlée y coûte 200 francs, soit le prix d'incinération le plus élevé de Suisse.

Certaines entreprises préfèrent donc faire jouer la concurrence, quitte à parcourir des kilomètres. C'est le cas d'Helvetia Environnement / Sogetri, leader genevois dans la gestion du déchet.

Sur son site internet, l'entreprise joue pourtant la carte locale en déclarant: "Le kilomètre est l'ennemi du déchet". Mais selon le Département du territoire, elle aurait évacué 14'620 tonnes de déchets genevois en 2020, notamment à Soleure. Dans ce canton du nord-ouest de la Suisse, une tonne brûlée y coûte seulement 125 francs, nettement moins qu'au bout du Léman.

La direction de l'usine d'incinération soleuroise a confirmé à la RTS qu'elle recevait des déchets industriels, artisanaux et de construction de Sogetri depuis 2018. Rien que cette année, plus de 3800 tonnes de déchets genevois y ont été brûlés.

Une amende de 20'000 francs

Pour ces exportations, Helvetia Environnement / Sogetri vient de se voir infliger une amende de 20'000 francs par l'Etat de Genève, pour violation de son autorisation d'exploiter. L'entreprise a fait recours contre cette décision. Elle n'a pas souhaité répondre face caméra, mais assure, par écrit, "respecter la loi en vigueur".

Son directeur Thierry Vialenc justifie ainsi ses déplacements: "L'usine des Cheneviers n'est pas en mesure de prendre toutes nos quantités de déchets. Et une fois les matières triées et densifiées, le transport n'a qu'un impact CO2 marginal sur le bilan global face à l'incinération."

D'après lui, les déchets exportés seraient principalement utilisés en tant que combustible pour remplacer le charbon dans des cimenteries. "Les usines où ils sont valorisés en font une bien meilleure utilisation énergétique (substitution d'énergie fossile) qu'aux Cheneviers."

Une projet de loi pour brûler les déchets genevois à Genève

A l'heure actuelle, rien n'interdit ces exportations. Mais un projet de loi prévoit la création d'une zone d'apport, c'est-à-dire l'obligation de brûler les déchets genevois à Genève. Le texte est entre les mains du Grand Conseil.

Pour le géologue cantonal Jacques Martelain, l'idéal est d'avoir des circuits courts: "A partir du moment où on a une usine d'incinération, il n'y a aucune logique à emmener les déchets à l'autre bout de la Suisse. Certes, ceux qui vont là-bas vont y trouver un intérêt économique mais l'environnement, lui, va y perdre largement."

Argument écologique mais financier aussi, une nouvelle usine d'incinération, Cheneviers 4, verra le jour en 2023, à la place de l'ancienne. Avec un risque: que ses fours soient surdimensionnés et donc pas rentables si les déchets continuent à fuir Genève.

Flore Amos/fme

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