C'est une scène comme on en voit rarement en Suisse. Samedi soir, peu après minuit, à Genève, des coups de feu ont été échangés dans un bar bondé, en plein centre-ville.
L'altercation a mis aux prises des membres de deux gangs de motards: les Hells Angels d'un côté et les Bandidos de l'autre. Le visionnage des caméras de surveillance ne permet pas de déterminer clairement le déroulé des événements. Des échanges de tirs ont eu lieu. Une enquête a été ouverte par le Ministère public, qui ne fait pas davantage de commentaires.
En fin de matinée, lundi, plusieurs agents de police se trouvaient sur les lieux pour recueillir des éléments matériels susceptibles de les aider à avancer. Notamment savoir quel type d'arme a été utilisé samedi soir. Selon les renseignements obtenus par la RTS, il apparaît que cette fusillade est liée à des conflits de territoire et d'intérêts commerciaux entre les deux clubs de motards. Deux clubs rivaux depuis des décennies et qu'Europol considère comme des gangs hors-la-loi du fait de leurs activités criminelles. En Allemagne, par exemple, ces groupes ne sont plus tolérés.
Règne menacé
Pour comprendre ce qui est en train de se jouer au bout du lac, il faut savoir que les Hells Angels règnent quasiment sans partage en Suisse depuis les années 70. Il peut exister des plus petits clubs de motos, mais tous lui sont affiliés en quelque sorte. Selon Fedpol, "quiconque enfreint les règles internes de ce milieu doit s'attendre à des représailles de la part des Hells Angels ou de leurs soutiens".
Or, la police fédérale constate que d'autres groupes de motards ou assimilés tentent depuis quelques années de former des filiales en Suisse. Beaucoup ont échoué. Mais pas les Bandidos. Ils sont présents désormais à Thoune (BE) et en Valais. Et, selon les informations de la RTS, ils souhaitent maintenant s'établir à Genève. Ce qui n'est pas du goût de leurs rivaux historiques.
Provocation
Après plusieurs épisodes sanglants au nord de l'Europe, à la fin des années 90, les Hells Angels et les Bandidos ont conclu une trêve. Celle-ci établit les nouvelles règles du jeu et notamment une division territoriale des zones d'influence respective.
La présence des Bandidos à Genève est ainsi ressentie comme une atteinte à ces règles et une provocation. Surtout que son antenne située à Annemasse, en France voisine, est l'une des plus importantes d'Europe. Les Hells Angels ne souhaitent donc pas voir leurs rivaux s'établir en force sur leurs terres, qui plus est pour les voir prospérer dans des activités illicites en partie concurrentes.
Un acte d'opportunité
Les tirs de samedi soir sont-ils le fruit d'un acte prémédité? Non, selon les renseignements de la RTS. Il s'agirait plutôt d'un acte d'opportunité. Des membres des Hells Angels auraient été prévenus de la présence, ostensible, de Bandidos dans ce bar de Plainpalais, avec emblème dans le dos. Leur présence aurait été d'autant plus remarquée que l'un d'eux serait un "gros poisson" de l'organisation, qui viendrait de sortir de prison.
Plusieurs membres des Hells Angels se seraient donc rendus sur place avant d'ouvrir le feu. Impossible d'affirmer à ce stade s'il s'agissait d'une tentative de meurtre ou de coups de semonce. Mais la fusillade a choqué. La patronne de l'établissement expliquait lundi matin que le barman a cru mourir samedi soir.
Crainte de représailles
La violence de cet acte, au coeur de la ville, interpelle au sein de la communauté des motards. Car les Hells Angels ont mis des années à se construire une respectabilité à Genève pour gommer l'image de criminels et de mauvais garçons qui leur collait à la peau par le passé. La fusillade de samedi risque donc de tout remettre à zéro.
Elle fait surtout craindre des représailles. Il faut dire que ce n'est pas la première fois que ces deux gangs, qui n'ont pas répondu aux sollicitations de la RTS, se déchirent en Suisse. Il y a pile trois ans, une violente bagarre avait éclaté entre membres rivaux, à Belp, dans le canton de Berne, pour des conflits de territoire. Le procès de 22 personnes s'ouvre la semaine prochaine. Elles devront répondre notamment de tentative d'homicide volontaire, ainsi que de lésions corporelles graves et simples.
La police fédérale précise que des membres de groupes de motards établis en Suisse ont été impliqués, par le passé, "dans des délits de violence et des délits contre le patrimoine ainsi que dans des infractions à la loi sur les armes et à la loi sur les stupéfiants". Elle indique avoir connaissance "d'un nombre à un chiffre d'incidents, en partie pénalement répréhensibles, qui relèvent vraisemblablement de ce conflit". Selon Fedpol, l'incident de ce week-end à Genève "illustre ce potentiel de violence existant entre ces groupes de motards rivaux".
Raphaël Leroy