Concilier travail et vie de famille n’est pas chose aisée si vous visez une position au sommet de la hiérarchie genevoise. Selon l'analyse des postes soumis à candidature, il vaut mieux être prêt à travailler à plein temps.
Tous les emplois de cadres supérieurs ne sont cependant pas logés à la même enseigne. En effet, si l’on considère l’ensemble de cette catégorie (allant de la classe salariale 23 à la classe 32), un bon tiers des postes peut être occupé à temps partiel. Le plus souvent, une fourchette de taux allant de 80% à 100% est proposée.
Mais le travail à taux réduit se concentre clairement dans les classes de cadres les plus basses, où l’on trouve par exemple des juristes, des cheffes de service ou des directeurs d’école primaire. Plus l’on gravit les échelons, plus le temps partiel se fait rare.
Pour la conseillère d’État Nathalie Fontanet, ces chiffres montrent que certaines fonctions à haute responsabilité ne sont pas compatibles avec un taux de travail réduit. "L’analyse obligatoire, conformément à la réglementation en vigueur au sein de l’État, étant faite pour l’ouverture de chacun des postes, si le temps partiel n’est pas proposé, c’est que le poste ne s’y prête pas", argumente la responsable du Département des finances et des ressources humaines.
Moins de temps partiel, moins de femmes
Pourtant, la stratégie genevoise des ressources humaines indique que l’État "offre la possibilité de travailler à temps partiel, y compris pour les cadres supérieurs et supérieures et les fonctions d’encadrement" dans l’optique de promouvoir l’égalité entre femmes et hommes. Cette approche – favoriser le temps partiel pour encourager les postulations féminines – est affichée par la plupart des cantons romands.
Nathalie Fontanet n’est cependant pas "convaincue que la question du temps partiel soit si essentielle pour faire progresser le taux de femmes dans les postes à responsabilité, la moyenne ayant progressé de 3,4% entre 2020 et 2021 pour atteindre les 42,2% parmi les hauts cadres, dont certaines fonctions impliquent des responsabilités de management".
Les chiffres montrent pourtant que le temps plein est un vrai obstacle aux carrières féminines. Parmi les hauts cadres genevois, un tiers des femmes travaillent à un taux réduit, contre moins d’un homme sur dix.
Quant aux 42% de cadres supérieurs féminins dans l’administration genevoise, ils se concentrent sur les échelons les plus bas. Plus l’on monte dans la hiérarchie, plus la part de temps partiel et de femmes cadres diminuent. La classe 25, qui intègre les officiers supérieurs de la police (quasiment tous des hommes) est la seule qui contredit cette tendance.
Au sommet, les femmes ne représentent plus qu’un quart des dirigeants.
Nathalie Fontanet dit, néanmoins, s’employer à valoriser les candidatures féminines. Elle a nommé deux directrices générales ces dernières années. "Il n’aurait, après étude approfondie, pas été possible de décliner ces postes en temps partiel", selon la magistrate.
À Fribourg, le temps partiel pour tout type de postes
Pourtant, certains cantons romands proposent le temps partiel (avec une fourchette de taux) pour tous les emplois mis au concours. C’est le cas de Vaud, Neuchâtel et Fribourg. Le but, là aussi, est de favoriser l’égalité homme-femme ainsi que l’équilibre entre la vie de famille et le travail.
Rien ne garantit cependant que les postes soient ensuite effectivement attribués à temps partiel. A Fribourg, par exemple, un seul chef de service ou secrétaire général sur cinq travaille aujourd’hui à moins de 100%. Mais pour Gabrielle Merz Turkmani, cheffe du Service du personnel et d’organisation à l’État de Fribourg, l’objectif est d’envoyer un signal de flexibilité: "Avec le soutien de la hiérarchie, de la bonne volonté et de l’organisation, il est possible d’imaginer le temps partiel pour tout type de poste."
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La fonction de vice-chancelière de l’État de Fribourg est d’ailleurs occupée par deux personnes à temps partiel qui se partagent le poste. Sophie Perrier est à 60% avec une présence tous les jours et son collègue occupe les 40% restant, à côté d’un autre emploi à l’État. "J’étais très intéressée par le poste, mais je souhaitais continuer à exercer à temps partiel. J’ai donc demandé s’il était possible de le partager. Ma hiérarchie y a vu une opportunité de multiplier les compétences et a nommé un vice-chancelier avec un parcours différent du mien", se souvient Sophie Perrier.
Être cadre à temps partiel: un piège?
Ouvrir des fonctions à responsabilité à temps partiel demande une dose de bonne volonté aux administrations, mais cela ne suffit pas. Il faut être prêt à opérer des changements en profondeur.
Un piège est maintes fois évoqué, celui du "faux temps partiel". "On vente souvent les mérites du temps partiel, mais il faut être extrêmement attentif et ne pas tomber dans le piège du 80% où l’employé se retrouve à faire du 100%. On sait que c’est souvent le cas et les premières victimes sont les femmes", affirme Nathalie Fontanet.
Pour François Gonin, professeur en management des ressources humaines à la HEIG-VD, cette dérive peut exister. Pour l’éviter, une seule solution: repenser l’organisation du travail. "Cela passe indiscutablement par plus de responsabilisation des cadres intermédiaires et des équipes", juge l’ancien conseiller RH à la Ville de Lausanne.
Repenser l’organisation du travail passe indiscutablement par plus de responsabilisation des cadres intermédiaires et des équipes.
La vice-chancelière de l’État de Fribourg admet quelques heures supplémentaires, mais le poste n’est pas un "100% qui ne dit pas son nom". Pour Sophie Perrier, le maître-mot est la flexibilité: "Je suis souple sur les horaires et reste disponible pour mon employeur, ainsi que mes collaborateurs et collaboratrices pour permettre de faire avancer les dossiers au mieux. Par exemple, il me faut parfois adapter mon programme pour réussir à fixer des séances, notamment avec les conseillers d’États."
Les employés doivent être attentifs à un autre point: maintenir une présence suffisante au sein de l’équipe. "Il faut rester visible pour pouvoir monter en grade, mais également profiter des échanges et informations transmises de manière informelle", avertit Gabrielle Merz Turkmani, cheffe du Service du personnel de Fribourg.
Changer la culture du management
"Le cadre était longtemps vu comme le seul capitaine à bord! Il est indispensable, supervise tout… S’il n’est pas là un seul jour, tout s’arrête. Cette vision séduit moins aujourd’hui", explique François Gonin. Pour le spécialiste RH, les organisations gagneraient à abandonner cette image du chef ou cheffe omniprésent et omniscient. Selon lui, changer notre culture du travail est un facteur clef pour réussir à instaurer plus de temps partiel au sommet de la hiérarchie.
Pour la directrice de l'Institut de Management de l’Université de Neuchâtel Claudia Jonczyk Sédès, mettre en place du partage de poste (un emploi à plein temps partagé entre deux personnes) peut être une façon d’amener en douceur plus de temps partiel chez les cadres. Selon la chercheuse, proposer des taux d’activité réduits à tous les échelons apporte aussi de nombreux avantages aux organisations: "Plus de femmes en haut de la hiérarchie, mais aussi une entreprise plus attractive et des cadres reposés."
Travailler à un taux réduit séduit en tout cas les employés et employées. Selon le baromètre de l’égalité 2021, la majorité des personnes consultées, tant les hommes que les femmes, souhaiterait vivre dans un modèle où les deux parents travaillent à temps partiel.
>>Ecouter l'interview de François Gonin dans le 12h30:
Juliette Jeannet