Ces soucoupes flottantes ont notamment été déposées dans un étang de 4000 mètres carrés du bois de Jussy, à l'extrême est du canton de Genève. Elles servent à calculer la quantité de C02 absorbée par l'étang, de même que le méthane relâché. Ensuite, une addition de ces résultats permet de savoir si les étangs ont un bilan carbone positif ou non.
Sur un bateau au milieu de l'eau, Jules Hornung, assistant à l'HEPIA, réalise les prélèvements des gaz contenus dans les soucoupes. Elles sont installées trois fois par an pendant sept jours, au printemps, en été et en automne, pour comprendre les cycles saisonniers des bilans carbone des étangs. Une fois remplies, de petites fioles de gaz sont envoyées au Danemark à un partenaire de l'étude: Tom Davidson, spécialisé dans les mesures des gaz à effet de serre.
Des pièges à sédiments
Il y a aussi des prélèvements pour mesurer le carbone stocké au fond de l'étang dans les sédiments. "C'est ce que l'on appelle des pièges à sédiments", explique Jules Hornung au micro du 12h45 de la RTS. "On les laisse pendant trois mois au fond de l'étang. Ils vont capturer tous les sédiments qui se posent, donc en gros tout le carbone qui va se déposer au fond".
Au laboratoire, ces sédiments sont ensuite analysés par Eliane Demierre. Ils sont passés dans un four à 550 degrés pendant 4h30. "Ca va calciner le carbone. La différence de poids entre avant qu'on les calcine et après va nous donner le taux de carbone qu'ils contenaient",explique la laborantine en écologie.
Les étangs sont entre 5 et 50 plus performants qu'une forêt
Cette étude, à laquelle participent les chercheurs de l'HEPIA, supervisée par Julie Fahy, doctorante à l'HEPIA et à l'UniGE, est inédite: c'est la première fois qu'on mesure le bilan de la séquestration de carbone des étangs et des mares. Au total, huit pays européens y participent, ainsi que la Turquie et l'Uruguay. L'Union Européenne la finance avec un budget de 7 millions d'euros. Le projet a débuté en décembre 2020 et va durer quatre ans.
Les résultats préliminaires sont encourageants: les étangs absorbent plus de CO2 qu'ils n'en rejettent: ce sont donc des puits de carbone. Plus encore, il semblerait que leur efficacité est nettement supérieure aux autres écosystèmes. "Sur un plan d'eau comme celui-ci, on est grosso-modo à 4 tonnes d'équivalent CO2 par an, ce qui place les étangs au hit-parade des écosystèmes en termes de séquestration biologique. Ils sont, par exemple, entre 5 et 50 fois plus performants qu'une forêt", explique Aurélie Boissezon, qui coordonne le volet Suisse de l'étude.
Cet exploit s'explique par les conditions particulières des étangs: il s'agit de milieux anoxiques, où le manque d'oxygène entraîne une décomposition des matières organiques très lente et donc un relâchement des gaz très lent, contrairement aux forêts, où le recyclage du carbone est constant. Un étang d'un hectare, soit à peine plus grand qu'un terrain de foot, est capable de stocker 10 tonnes d'équivalent CO2 par an, une quantité "très importante", illustre Aurélie Boissezon.
En 200 ans, 9 étangs sur 10 ont disparu en Suisse
En deux siècles, 90% des étangs ont disparu en Suisse. Pour les coordinateurs de cette étude, il faut recréer ces zones humides pour absorber du CO2.
"On a fait une petite simulation (…) Si vous recréez 200 étangs, vous avez une mesure qui piège 1000 tonnes de carbone. Ca ne vous dit peut-être pas grand-chose, mais c'est une quantité énorme", défendBeat Oertli, professeur HES et coordinateur du volet suisse du programme Ponderful.
Pour le professeur, créer des étangs a aussi d'autres avantages. Ils permettent le développement de la biodiversité, constituent des réserves d'eau en cas de sécheresse, ou encore peuvent être des réservoirs d'eau utile en cas d'inondation.
Créer des étangs pour faire baisser son bilan carbone
Grâce à cette étude, les chercheurs souhaitent que la création d’étangs puisse être reconnue comme une mesure permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre et contribuer aux engagements climatiques que la Suisse a pris.
Elle n'est toutefois pas terminée. Les résultats des autres pays sont très attendus. Ils permettront, grâce à des comparaisons, d'identifier sous quelles conditions le stockage de carbone est optimal afin de pouvoir optimiser au mieux la séquestration de carbone.
Camille Rivollet/vic