Meurtre des Charmilles: le drame de la récidive
Le dimanche 19 janvier 2019, un jeune homme de 22 ans est poignardé à mort dans un parking souterrain, son agresseur est à peine âgé de 18 ans. A l’horreur de la situation s’ajoute la stupeur lorsqu’on apprend que l’ado meurtrier est déjà sous le coup d’une double inculpation pour tentative de meurtre commise lorsqu’il a 16 ans. Pourquoi ce mineur n’a-t-il pas été mis derrière les barreaux? Était-il au moins contrôlé, surveillé?
Ce tragique fait divers met en lumière les difficultés de la justice pénale des mineurs, coincée entre éducation et répression. "Temps Présent" a pu consulter, à titre exceptionnel, les dossiers d’instruction et, surtout, les expertises psychiatriques de Metin (prénom d’emprunt), l’ado meurtrier. A leur lecture, on s’interroge sur les choix faits par la justice dans cette affaire.
Profil de petit délinquant
Les premiers actes criminels commis par Metin datent donc de 2017. Il a 16 ans et un profil de petit délinquant. Un soir de janvier, il arpente le quartier genevois de Saint-Jean avec quelques copains. La petite bande a des envies de castagne. Sur son chemin, deux hommes trentenaires discutent tranquillement. Sur eux va s’abattre, sans aucun motif, une violence inouïe: coups de pieds, coups de poings, shoots dans la tête… Laissées pour mortes, les deux victimes s’en sortent avec de graves séquelles à vie.
L’enquête est difficile et Metin n’est arrêté que 6 mois après les faits, 6 mois pendant lesquels il mène une vie parfaitement normale. Le sang froid de l’ado interroge, son extrême violence aussi.
Incarcéré dans un premier temps au centre pour mineurs La Clairière, à Genève, Metin est soumis à une expertise psychiatrique. Elle va souligner l’arrogance, la capacité à mentir et à manipuler de l’ado et sa difficulté à gérer ses émotions. Mais, surtout, elle met en exergue son trouble des conduites. Ce trouble, dont souffrent généralement les délinquants particulièrement violents, se manifeste notamment par une quasi-incapacité à accepter les règles et à se contrôler.
Signes de violence dès 2 ans
Il ressort du dossier d’instruction que la violence de Metin s’est manifestée dès ses deux ans lorsqu’il est amené chez un psychiatre pour la première fois. Tout au long de son parcours, il est vu par psychiatres et psychologues mais, à chaque fois, le suivi thérapeutique est interrompu. Pendant 16 ans, Metin est passé entre les mailles du filet.
Au trouble des conduites, l’expertise ajoute le risque de récidive élevé et préconise d’éloigner Metin de son milieu social.
Et pourtant: après un an et demi de placements dans divers centres en Suisse romande et même dans une famille d’accueil, le jeune est renvoyé… chez lui. Seuls un psychiatre et un assistant social sont chargés de son encadrement. Metin va continuer de commettre des actes de délinquance jusqu’à ce dimanche 19 janvier 2019 où il poignarde au petit matin, dans le parking genevois des Charmilles, le jeune Chris qui rentrait de soirée en compagnie de quelques amis.
Drame évitable?
Ce drame aurait peut-être été évité si Metin avait été incarcéré. Seulement voilà: la justice des mineurs n’emprisonne qu’en dernier recours. Sa philosophie privilégie l’éducation et la formation à la répression. Et le système ne semble pas trop mal fonctionner puisque seul un quart des jeunes délinquants récidive.
Toutefois, lorsque le mineur délinquant a un parcours particulièrement inquiétant et que les faits criminels sont exceptionnellement graves, la justice va demander son placement au centre de détention de Pramont, en Valais. C’est la seule structure romande pouvant accueillir les jeunes présentant une violence hors norme.
Pourquoi Metin n’a-t-il pas été accueilli à Pramont? Le juge en a-t-il fait la demande? Une chose est certaine, il n’y a aujourd’hui aucune place disponible dans le centre valaisan (qui en compte une vingtaine) et le délai d’attente est de… deux ans! Face à la violence extrême de certains mineurs, la justice pénale est donc démunie et forcée de "bricoler" des solutions.
Mesures pas respectées
Après l’effroyable agression dans le quartier de Saint-Jean et quelques placements en centres et foyers, Metin est donc renvoyé chez lui. En guise de filet de sécurité, le juge en charge de son dossier établit un certain nombre de mesures auxquelles l’ado est astreint. Metin ne doit notamment pas boire, pas sortir, ne pas être armé. Mais la justice ne peut garantir à 100% le respect de ces mesures. Il ressort du dossier d’instruction que, faute d’un véritable contrôle, Metin n’a pas respecté les siennes et n’en a pas été sanctionné.
Lorsqu’il tue Chris dans le parking des Charmilles vers 5 heures du matin, Metin est alcoolisé et armé. Les images des caméras de surveillance montrent un jeune homme déchaîné qui, en quelques secondes, fait monter la tension. C’est parce qu’il a voulu protéger un de ses amis de l’agressivité de Metin que Chris a été tué.
Depuis ces faits, Metin est incarcéré à la prison genevoise de Champ Dollon où il a été soumis à une nouvelle expertise psychiatrique. Elle confirme son trouble de la personnalité et le risque élevé de récidive. Evalué au travers de l’échelle de Hare, le jeune détenu présente un score qui dépasse le seuil de diagnostic de psychopathie. Son absence de culpabilité et son manque d’empathie y sont notamment soulignés.
Metin a été jugé pour l’agression de Saint-Jean en octobre 2021. Le meurtre des Charmilles s’est produit il y a plus de trois ans et demi mais le procès n’est toujours agendé.
Sofia Pekmez