Certains passagers des transports publics redoutent toujours un moment: l'entrée dans le bus, le tram ou le train des contrôleurs. Si un voyageur est attrapé sans un titre de transport valable, il devra s'acquitter d'une amende de 100 francs. S'y ajoute 40 francs s'il ne peut pas payer tout de suite.
"Ça pique!", témoigne un jeune resquilleur des Transports publics genevois (TPG) dans l'émission de la RTS Mise au point. Ce n'est pas la première fois qu'il se fait pincer lors d'un contrôle, quand la "technique" de se cacher dans les toilettes des trains n'a pas fonctionné.
Si cet étudiant ne prend pas de billet, c'est parce que c'est "trop cher". D'ailleurs, les jeunes de 20 à 29 ans sont les champions de la resquille. Rien qu'à Genève, ils sont plus d'un sur trois à ne pas avoir un ticket valable. Avec le cumul des amendes qui prennent l'ascenseur à chaque récidive, sans compter les émoluments et les frais de rappel, l'addition peut vite être salée.
Durcissement du Code pénal
Michael*, 30 ans, l'a appris à ses dépens. Il a été incarcéré un mois dans les prisons de Champ-Dollon et de Villars, à Genève, parce qu'il n'avait pas payé, "faute de moyens", 1200 francs d'amendes accumulées dans les transports publics. "Ce n'était pas la joie", témoigne-t-il.
Ces dernières années, le Code pénal s'est considérablement durci. Depuis 2018, lorsqu'il y a une convocation en prison en cas d'amendes impayées, il n'est plus possible de négocier avec un juge d'application des peines.
Les alternatives à la détention se sont réduites comme peau de chagrin. Plus possible, par exemple, de convertir une peine de jours-amendes en travail d'intérêt général ou de porter un bracelet électronique pour des peines de prison de moins de 20 jours. Michael aurait souhaité discuter avec un juge pour trouver une solution "plus juste" et que l'expérience soit "moins difficile".
En parallèle, un fichier national des resquilleurs, avec ouverture automatique d'une procédure pénale après la quatrième récidive sur l'ensemble du réseau, a été créé
Méthode "disproportionnée"
Le député socialiste Sylvain Thévoz dénonce une méthode "scandaleuse" et "disproportionnée". "Il est injuste qu'en fonction de la somme monétaire ou des compétences administratives que vous ayez, vous vous retrouviez ou non en prison", dit-il. Les TPG offrent toutefois aux jeunes resquilleurs jusqu'à leur troisième récidive la possibilité d'effectuer un après-midi de travail d'intérêt général, en nettoyant les véhicules, pour réduire de 100 francs leur amende.
Mais il reste des jeunes dans la galère. Théo*, 20 ans, a accumulé plus de 3000 francs d'amendes rien qu'aux TPG. "Depuis mes 18 ans, les dettes s'accumulent. J'ai été dépassé. Au bout d'un moment, je ne les regardais plus", explique le jeune homme, dont les parents ne pouvaient pas l'aider. Les amendes non payées dans les transports publics constituent l'une des plus importantes sources d'endettement des jeunes entre 20 et 29 ans.
Théo a reçu une convocation pour son incarcération, mais il est parvenu à la suspendre in extremis en s'adressant à la Fondation genevois de désendettement. "Nous nous efforçons de donner une deuxième chance à des jeunes qui n'ont souvent pas eu une première chance pour commencer leur vie d'adulte dans de bonnes conditions", indique sa directrice Johanna Velletri.
Elle observe une "nette hausse des demandes" depuis quelques années. Selon elle, les jours-amendes pénalisent les bas revenus, car leur montant est fixé en fonction de la situation financière de la personne.
Une "double peine"
Si le jour-amende est fixé à 30 francs, une personne avec 1400 francs de contravention devra effectuer 47 jours de prison. "La peine est très élevée", estime Johanna Velletri. Elle dénonce une "double peine", surtout pour des jeunes dans la précarité, le jour valant moins.
Le conseiller d'Etat en charge de la sécurité Mauro Poggia défend la procédure. "Avant la case prison, il y a plus d'une dizaine de possibilités de régulariser la situation. A chaque étape, la personne a la possibilité de payer ou de trouver des arrangements pour payer. La personne qui arrive au bout du processus est la personne qui se moque véritablement de tout ce qui lui arrive ou qui a des problèmes dans sa vie privée qui l'empêchent de s'en occuper."
Finalement, les dettes de Théo seront prises en charge par la fondation privée. Il s'est engagé à en rembourser une partie. Et deux ans plus tard, Michael s'en est sorti. Sa situation financière est désormais stable.
Reportage TV: Pierre Bavaud
Adaptation web: Valentin Jordil
*prénom d'emprunt