Genève accueillait il y a une semaine des artisans bijoutiers du monde entier dans le cadre des "WorldSkills", un championnat du monde des métiers. Lundi 17 octobre à 14h, lors de la cérémonie de clôture des candidats et candidates au titre de meilleur joaillier du monde, la médaille d'or a été remportée par une concurrente iranienne.
A la fin de la cérémonie, lorsque la diffusion vidéo de l'événement en direct s'est arrêtée, la jeune femme a pris la parole pour une allocution de moins de deux minutes, qui a marqué plusieurs témoins sur place.
Selon des informations de la RTS, la lauréate aurait lu un texte dans un anglais approximatif sur un téléphone portable. Sans pointer quiconque du doigt, elle a déclaré refuser que son prix soit instrumentalisé et l'a dédié aux femmes iraniennes, avant de refuser la médaille. D'après les témoins contactés, elle l'aurait ensuite enlevée et reposée avec respect sur le pupitre.
Un contexte politique iranien sensible
Le discours aurait pu passer inaperçu, mais le contexte est sensible. Depuis un mois, un important mouvement de protestation est en cours en Iran après la mort d’une étudiante.
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Dernièrement, Elnaz Rekabi, une grimpeuse iranienne a disparu plusieurs jours après avoir participé sans voile aux championnats asiatiques d'escalade de Séoul. Elle est réapparue trois jours plus tard, mercredi matin, en s’excusant et en indiquant que son voile était tombé par erreur. Des militants des droits humains pensent que ces excuses sont forcées par le gouvernement iranien qui l’aurait menacée.
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À Genève, plusieurs participants sont inquiets pour la lauréate des WorldSkills. "Elle s'est publiquement opposée au régime actuel à l'étranger, avec une force et un courage incroyable. En tant que citoyen, j'ai peur pour sa vie", témoigne anonymement l'un d'eux, mercredi dans le 19h30.
La police genevoise sollicitée
À la fin de son discours, les témoins contactés par la RTS disent avoir perdu de vue la jeune iranienne. "Je voulais aller la voir après son discours, j'avais peur pour elle, mais il y avait du monde. Je crois qu'elle est vite partie", explique un participant. Beaucoup redoutent qu'elle ne subisse des représailles, qu'elle soit kidnappée ou séquestrée de force. La police genevoise a été contactée.
La coach d’un autre concurrent confie: "J’étais très inquiète pour elle. J'ai demandé à mon interprète de contacter la sienne pour savoir comment elle allait. Nous avons eu une réponse rapide. Elle nous a dit que [la lauréate] était à l’hôtel et que tout allait bien". La plupart des témoins ne s'attendaient pas à un tel discours. "C'était préparé. Elle a sorti un téléphone et a lu ce texte. Elle l'avait donc certainement écrit en amont de la cérémonie", estime un homme assis au premier rang lors de l'événement.
Ce point de vue est partagé par la coach d'un concurrent d'une autre nationalité: "Lors d’un atelier pratique sur le thème "Japon-Chine", elle a réalisé un visage avec de beaux cheveux. Lorsque j’ai entendu qu'elle dédiait son prix aux femmes iraniennes, j’ai compris pourquoi elle avait réalisé ce visage".
Selon les informations recueillies par la RTS, la jeune Iranienne est rapidement retournée à son hôtel après son discours, accompagnée par une proche, aux alentours de 15h30. Vers 17h, la police est arrivée sur place avec une quinzaine d'agents, selon des employés de l'établissement. L'important dispositif policier a été levé aux environs de 21h.
Contacté, le Ministère public genevois a répondu que "la police s'est rendue auprès de la lauréate pour s’assurer qu'elle était libre de ses mouvements. L'intéressée ayant rassuré les intervenants sur ces points et émis le voeu de rejoindre la délégation iranienne, la police, faute d’indice de commission d’une infraction pénale, a mis un terme à son intervention".
La jeune femme aurait quitté Genève
Pour le militant kurde iranien Taimoor Alissi, les forces de l'ordre n'ont pas suffisamment aidé la lauréate. Selon lui, elle peut s’être tue sous la contrainte. "Elle aurait pu subir des pressions [de la part de la délégation iranienne] pour ne pas demander l'asile ou pour ne pas demander de l'aide à la police", indique-t-il.
"Sous l’article 286 du code iranien, si une personne prend position contre le régime, cela peut amener à la prison, à la torture et à la peine de mort", poursuit-il en mentionnant le Code pénal iranien. "J’ai parlé avec la police genevoise pour les informer du danger du retour du renvoi de cette personne et je regrette que la politique genevoise prenne cette histoire à la légère et très naïvement."
Le Ministère public du canton conteste toute négligence dans le traitement de cette situation. La jeune femme a quitté son hôtel mardi matin en direction de l'aéroport de Genève. Depuis, la RTS n'est pas parvenue à la localiser.
Jacqueline Pirszel, Julien Chiffelle, Camille Rivollet