Ce voyage "constitue un avantage indu", estime le Tribunal fédéral dans un arrêt daté du 31 octobre. Le Ministère public genevois contestait le jugement de la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice genevoise qui avait acquitté Pierre Maudet pour son périple dans le Golfe. La cause est renvoyée à la cour cantonale.
Les juges de Mon Repos estiment qu'on ne peut suivre la cour cantonale genevoise "lorsqu'elle admet la nécessité d'un parallélisme entre l'illicéité de l'octroi de l'avantage indu et celle de son acceptation par des agents publics".
Conscient "du caractère indu de l'avantage"
Aux yeux des magistrats fédéraux, on peut parfaitement considérer comme punissable uniquement le comportement de celui qui accepte un avantage. Il n'est pas nécessaire, pour juger d'un tel acte, d'examiner si celui qui a octroyé l'avantage l'a fait en attendant un retour de la part du bénéficiaire.
En l'occurrence, Pierre Maudet était conscient "du caractère indu de l'avantage" et s'est accommodé d'en avoir bénéficié en raison de ses fonctions officielles, estime le Tribunal fédéral. L'ancien conseiller d'Etat genevois s'était rendu à Abu Dhabi avec sa famille et son chef de cabinet de l'époque.
Tous coupables
L'ancien haut fonctionnaire, subordonné direct du magistrat, se voit également rattrapé par l'arrêt du TF. La Cour suprême annule l'acquittement dont il a bénéficié en appel et estime que, tout comme Pierre Maudet, il doit être condamné pour acceptation d'un avantage.
Deux entrepreneurs actifs à Genève, proches de Pierre Maudet, qui avaient participé à l'organisation du séjour aux Emirats, voient aussi leur acquittement par la justice genevoise invalidé par les juges fédéraux. Ils doivent être condamnés pour octroi d'un avantage, respectivement comme auteur et complice.
Dans le volet du financement d'un sondage, le TF confirme en revanche l'acquittement, prononcé par les tribunaux genevois de Pierre Maudet, de son ancien chef de cabinet et de ses deux amis entrepreneurs, estimant qu'il s'agissait "d'un financement politique octroyé, non à l'agent public, mais bien au candidat Pierre Maudet en vue des élections cantonales".
Candidat au Conseil d'Etat
Cet onéreux séjour à Abu Dhabi, qui a vu Pierre Maudet et sa famille loger dans un luxueux hôtel et au cours duquel ils ont pu assister à un Grand Prix de Formule 1, a fait couler beaucoup d'encre et créé une crise politique majeure à Genève. Elle a poussé Pierre Maudet à démissionner du gouvernement cantonal et à quitter le PLR.
Cet arrêt du TF tombe alors que Pierre Maudet s'est porté candidat à l'élection au Conseil d'Etat genevois du printemps prochain. Après avoir démissionné, Pierre Maudet s'était déjà présenté à sa succession en mars 2021 et avait terminé deuxième de l'élection complémentaire, derrière la Verte Fabienne Fischer.
Une décision qui fera jurisprudence
"Cette décision fera jurisprudence", a souligné l'avocate Miriam Mazou dans l'émission Forum. "Elle offre des précisions importantes (…) dans un contexte d'infractions où la frontière était particulièrement difficile à tracer entre ce qui est pénal et ce qui ne l'est pas".
Mais "cette décision ne signifie pas que les élus ne puissent plus rien accepter, ils ne pouvaient déjà pas accepter des avantages indus", a précisé cette spécialiste de droit pénal. "Ce qui a changé, c'est que le Tribunal fédéral dit aujourd'hui qu'on peut être condamné pour avoir accepté un avantage indu quand bien même la personne qui a fourni cet avantage n'avait pas nécessairement en tête d'influencer l'agent public".
ats/asch