"Je suis écœurée." La déception de la Vaudoise Natascha Allenbach est grande. La présidente de l'Association suisse du syndrome anti-convulsant (ASSAC) est la première à avoir déposé plainte au civil en Suisse contre le laboratoire français Sanofi. Ce traitement antiépileptique pris pendant sa grossesse a provoqué d'importants problèmes de santé chez son fils: des malformations et des troubles du développement.
Pendant des années, la Vaudoise n'a pas fait le lien entre les problèmes de son fils et le médicament. Ce n'est que lorsque le scandale éclate dans la presse qu'elle réalise: "A l'époque on ne m'avait pas mise en garde contre les dangers", déclare-t-elle jeudi dans l'émission Temps Présent.
Jugement très attendu
Natascha Allenbach a introduit une action en justice en décembre 2016 contre Sanofi et le médecin prescripteur pour obtenir réparation pour son fils. Mais après six longues années de procédure, la juge a estimé que les faits étaient prescrits. La loi sur la responsabilité du fait des produits (LRFP) prévoit en effet un délai de 10 ans pour déposer plainte contre un médicament.
Or, les parents Allenbach ont saisi la justice genevoise quand leur fils Simon avait 15 ans. "On ne peut pas se satisfaire d'un délai légal appliqué de manière très froide. Au fond, on va dire à des enfants: 'vos parents n'ont pas agi à temps.' Ce n'est pas possible!", s'indigne Me Pierre Gabus, l'avocat des parents. "Ce jugement de première instance port un coup aux valeurs que la famille Allenbach tente, avec courage, de porter devant la justice et que nous partageons", déclare-t-il à la RTS.
Au total, 18 "enfants Dépakine" ont déposé plainte contre Sanofi à Genève. Ils sont tous défendus par les mêmes avocats. Pour certains enfants nés après Simon, les cas ne sont pas prescrits.
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La famille fait appel
S'appuyant sur la jurisprudence européenne en matière d'amiante, Me Pierre Gabus et Lucile Bonnaz, les deux avocats de Natascha Allenbach, ont annoncé leur intention de faire appel auprès de la Cour de Justice pour faire "triompher l'accès à la justice et obtenir l'ouverture d'un procès équitable".
De son côté, le laboratoire Sanofi, un groupe pharmaceutique français basé à Meyrin, explique être sensible aux "situations difficiles" dans lesquelles se trouvent les familles. Le groupe rappelle qu'aucune décision de justice définitive ne retient sa responsabilité à ce jour même si en première instance le Tribunal de Paris a estimé que Sanofi "a commis une faute en manquant à son obligation de vigilance et à son obligation d'information" en janvier 2022.
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Swissmedic pointé du doigt
Pendant les audiences, le groupe Sanofi, producteur de la Dépakine, a expliqué avoir fait preuve de "proactivité et de transparence" au sujet de l'évolution de ses notices à l'intention des patientes et professionnels de santé, en proposant des modifications de texte à l'autorité de santé et de surveillance des médicaments Swissmedic.
"Nous rappelons que les entreprises pharmaceutiques ne peuvent pas décider unilatéralement de modifier les documents d'information relatifs à leurs médicaments. […] Dans le cas du valproate de sodium, les demandes de modifications n'ont pas toujours été approuvées par Swissmedic", a communiqué le groupe Sanofi à la RTS.
Selon les informations obtenues par la RTS, une notice a bien été rejetée en 2002, jugée "peu claire" par Swissmedic. "C'est un scandale, ça a pris beaucoup trop de temps", réagit le neuropédiatre lausannois Pierre-Yves Jeannet.
Cécile Tran-Tien
Dépakine: 54 victimes suisses
En 2019, un rapport de Swissmedic faisait état de 39 victimes en Suisse. Depuis, les chiffres ont été revus à la hausse.
Selon les dernières données collectées auprès de l’autorité de santé par l’émission Temps Présent, 54 enfants ont été exposés à la Dépakine, ou valproate (nom de la molécule), pendant la grossesse et sont nés avec des troubles du développement et pour certains de l’autisme ou des malformations.
Le premier cas signalé remonte à 1992 et le dernier est né en 2020.
30 à 40% de risques de troubles du développement
Les "enfants Dépakine" présentent tous des symptômes similaires et un faciès caractéristique (lèvre inférieure fine, nez épaté et large front). Mais en 2001, lors de la naissance de Simon, la notice destinée aux patientes mentionnait uniquement: "En cas de grossesse, informez votre médecin."
Ce n’est qu’en 2015 que le texte est modifié, mentionnant clairement les risques pour les fœtus: de 30 à 40% de risques de troubles de développement et 10% de risques de malformations.