Yves Flückiger: "L'université est le lieu du débat, de la dispute de temps en temps, du dialogue"
Le 21 décembre dernier, le club de débat de l’Université de Genève était réuni pour une joute oratoire sur la neutralité, à laquelle la conseillère nationale UDC Céline Amaudruz était invitée. Tout à coup, des individus masqués ont interrompu la conférence.
Après avoir jeté un liquide nauséabond, ils ont essayé d'entarter la politicienne, tout en proférant des menaces. En une année, c'est la troisième fois qu'une conférence est interrompue, car jugée discriminatoire par les militants et militantes à l'origine de ces perturbations.
Pour Yves Flückiger, recteur de l'Université de Genève, ces menaces sont à prendre au sérieux. "Avec les associations d’étudiants, on avait essayé d’établir des lignes rouges à ne pas franchir", explique-t-il dans le 19h30. "Lors de l’événement avec Madame Amaudruz, elles ont été franchies."
Des menaces jugées graves
"On n'avait pas d’autre choix que de déposer une plainte pénale contre inconnu, ce qu’on a fait pour violation de domicile", témoigne le recteur, qui espère que "ce signe fort" invitera quiconque à ne pas réitérer ce type d'intrusion.
Yves Flückiger juge graves les menaces - des menaces de mort - qui ont été proférées contre Céline Amaudruz. "L’université est le lieu du débat, de la dispute de temps en temps, le lieu du dialogue. Ces moyens d’intervention sont inacceptables."
Des signaux concrets
L'Université de Genève est sensible aux questions de société et d'inclusivité. Afin d'y répondre, elle a intégré l'écriture épicène et a supprimé les mentions "Monsieur" et "Madame" sur les diplômes, comme l'a également récemment fait l'Université de Lausanne.
[...] on a décidé de débaptiser le bâtiment Carl Vogt. Mais on n’a pas effacé l’histoire.
Pour le recteur, il faut montrer des signes concrets d'intérêt et de mobilisation de lutte contre les inégalités: "On a également décidé d’intégrer un pourcentage de femmes au minimum dans les places de professeur mises au concours. Cela a eu un effet concret, puisqu'on a quasiment la parité au niveau des nominations."
En outre, Yves Flückiger avait été interpellé suite au changement de nom de l'université, Carl Vogt, personnage jugé raciste. Une commission a travaillé sur un rapport mis en consultation auprès de la communauté universitaire. "A la suite de cette consultation, on a décidé de débaptiser le bâtiment Carl Vogt. Mais on n’a pas effacé l’histoire", répond-il.
Radicalisation des discours?
Yves Flückiger se dit inquiet d'une potentielle radicalisation des discours, mais il l'attribue en partie à la crise du Covid. "Nos étudiants en ont souffert. Il y a eu des périodes où les confrontations ont été relativement fortes, au niveau de la société et parfois au niveau de notre communauté universitaire, entre les pro et les anti-vaccins", concède-t-il.
Il estime que cela aurait peut-être contribué à "figer les positions, à les radicaliser". Néanmoins, il dit prêter attention à ce que le dialogue reste ouvert avec les associations pour tendre vers la démocratie participative, "celle d’un débat toujours ouvert, sans devoir mettre des forces de sécurité devant tous les auditoires", conclut-il.
>> A relire : Une conférence jugée transphobe interrompue par des activistes à Genève
Sujet TV: Jennifer Covo
Adaptation web: Raphaël Dubois
Un poste qui ne séduit pas
Mercredi, le successeur du recteur de l’université de Genève, Yves Flückiger, devait être nommé. Cependant, le canadien Eric Bauce, présenté par l’assemblé de l’université, a été écarté par le Conseil d’État, qui aurait préféré un candidat du sérail.
Même si la situation est un peu embarrassante, Yves Flückiger garantit qu'il n’y a pas de vide ou de crise institutionnelle. "Le recteur actuel va aller au bout de son mandat et assurera la transition au besoin", rassure-t-il.
Pourtant, le journal Le Temps écrivait vendredi que ce poste de recteur est "un poste dont personne ne veut". L'actuel recteur reconnaît que ce travail comporte des exigences. "Elles sont liées au fait d’avoir un réseau local, des connexions au niveau de la politique, et au fait de bien connaître son institution."
Yves Flückiger reste néanmoins optimiste et affirme sa certitude quant au fait de trouver un ou une nouvelle rectrice.