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Marc Roger, de patron du Servette FC à salarié d'Emmaüs, l'histoire d'une deuxième vie

Mise au point - Marc Roger: des stars du foot aux compagnons d’Emmaüs. [RTS]
Marc Roger: des stars du foot aux compagnons d’Emmaüs / Mise au point / 12 min. / le 29 janvier 2023
Il y a quelques années, Marc Roger fréquentait des stars du football et brassait des millions. L'ex-patron du Servette FC est désormais salarié chez Emmaüs dans sa commune française d'origine, Alès. Derrière ce contraste plutôt brutal, il y a l'histoire d'une seconde chance et d'une reconstruction.

La folle histoire de Marc Roger débute dans l'ancienne ville minière d'Alès, dans le Gard. Passionné de football dès l'enfance, il fait son chemin dans les travaux publics, le milieu de la nuit puis l'immobilier, qui sera sa porte d'entrée vers les fastes du ballon rond. Il fait affaire avec des joueurs professionnels et, de fil en aiguille, devient agent. Des grands noms comme Nicolas Anelka, Thierry Henry ou encore Patrick Vieira feront notamment partie de son écurie.

En 2003, il rachète un Servette FC déjà au bord de la faillite pour un franc symbolique. Au bout du lac, il est alors vu comme l'homme providentiel. "Il accepte de reprendre un club en grande difficulté parce qu'il est persuadé de pouvoir le sauver", se rappelle Daniel Visentini, journaliste sportif à la Tribune de Genève.

Les yeux plus gros que le ventre

Toutefois, son style détonne immédiatement. "C'est un peu Tartarin de Tarascon qui débarque dans la cité de Calvin. Dès ses premières minutes en tant que président, il déclare: nous serons champions, nous allons tout rafler", poursuit le spécialiste de football. "Forcément, ça fait un choc dans la prude cité calviniste."

Mais l’argent promis n’arrive pas et, petit à petit, le rêve s’évanouit. "Marc Roger pensait vraisemblablement qu'il suffisait de faire venir quelques grands noms pour que Servette domine outrageusement le championnat de Suisse. Il rencontre une autre réalité, celle du terrain, et tous ses projets tombent à l’eau assez rapidement", résume Daniel Visentini.

Marc Roger, c'est un passionné qui a cru un peu trop fort en ses rêves, qui a fermé les yeux par endroits, et qui a fait un peu de mal quand même

Daniel Visentini, journaliste sportif chez Tamedia

En 2005, un an après son arrivée, c’est le dépôt de bilan. Reconnu coupable par la justice d'avoir précipité la faillite du club, il est condamné en 2008 à deux ans de prison avec sursis pour gestion fautive et faux dans les titres. Sous sa présidence, les pertes du club sont passées en six mois d'environ 860'000 francs à près de 15 millions.

Il avait alors déjà passé 22 mois en détention préventive. "Il a payé très cher", juge Daniel Visentini. Peut-être a-t-il payé son arrogance, qui a pu faire grincer quelques dents. "Marc Roger, ce n’est pas un ange. Mais c'est quelqu'un de passionné qui a cru un peu trop fort en ses rêves, qui a fermé les yeux par endroits, et qui a fait un peu de mal quand même."

L'intéressé, pour sa part, estime encore aujourd'hui avoir été un bouc émissaire, même s’il reconnaît quelques erreurs: "Je n’ai pas fait tout juste, parce que Genève n’est pas une ville de football. C’était peut-être une erreur d’avoir un projet aussi ambitieux, on était un peu en décalage."

Emmaüs, la seconde chance

Marqué par son passage en prison, Marc Roger retourne à Alès. Il divorce, s'occupe seul de ses deux enfants et se retrouve sans argent. Il est même hébergé pendant une période chez sa grand-mère dans le Gard.

>> Lire : L'Etat de Genève avance les frais d'avocat de Marc Roger

Marqué et ruiné, il pose ses valises chez Emmaüs en 2021. On lui donne alors une chambre et 85 francs par semaine, et il se fait rapidement une place dans la communauté des compagnons d’Emmaüs, qui ont tous un point commun: s'être retrouvés à un moment sur le bas-côté de la vie.

"J'ai vu débarquer Marc, je ne le connaissais pas du tout. Il nous a dit qu'il était dans la mouise, on lui a donné le gîte et le couvert", se remémore Mika, lui aussi passionné de foot. "Après, j’ai regardé un peu sur Google et j’ai découvert qui il était. C'est fou, il a un carnet d'adresses hallucinant!"

Un bon transfert

Aujourd'hui, il est numéro deux d'Emmaüs à Alès. Il est salarié et ne loge plus dans la communauté, et il semble avoir trouvé un nouvel équilibre dans cet univers. "Je l'assume, je ne me cache pas, au contraire! Pour moi, Emmaüs c’est quelque chose de noble, c'est une grande fierté de poursuivre ce qu'a débuté l’Abbé Pierre. Et je pense qu'Emmaüs a une meilleure image que la plupart du football professionnel", glisse-t-il.

Son responsable ne tarit pas d’éloges à son égard. "Je pense qu’Emmaüs a eu raison de lui ouvrir la porte. En tout cas, lui a eu raison d’ouvrir la porte d’Emmaüs. Je pense qu'on peut parler d’un bon transfert."

Le football c’est une autre planète, c’est sûr. Emmaüs, c’est de l’humain. On n’a pas affaire aux mêmes personnes ni aux mêmes montants.

Marc Roger, ex-patron du Servette FC et salarié d'Emmaüs

"C’est quelqu'un qui est vite monté en responsabilités, qui comprend vite, difficile à déstabiliser, avec une grande empathie. Il a encore des combats à mener par rapport à ce qu'il a vécu avant, et je pense qu'il va les mener parce qu'il a une grande force de caractère", poursuit-il.

L'ancien businessman pourrait en effet se faire rattraper par sa vie d’avant. En mai dernier, il a été condamné pour tentative d’extorsion dans une autre affaire. Il a fait appel.

D'une planète à l'autre

Ce changement de vie, l'ex-patron de Servette le regarde avec philosophie, conscient de certains privilèges. Une conscience qu'il dit avoir eue durant sa carrière de magnat du football. "Quand j’avais des joueurs qui pleuraient parce qu'ils n’avaient pas reçu leur Ferrari ou leur McLaren, des fois je leur disais: écoute, tu me fatigues, les trois quarts de la planète crèvent de faim et toi, ton souci, c'est que ta Ferrari a 15 jours de retard", raconte-t-il.

"Le football c’est une autre planète, c’est sûr. Emmaüs, c’est de l’humanitaire, de l’humain, c’est totalement différent. On n’a pas affaire aux mêmes personnes ni aux mêmes montants."

À 59 ans, envisage-t-il encore de replonger dans le monde du football? "Aujourd'hui, je n’ai plus la même passion. J’ai eu beaucoup trop de déceptions à cause de ce milieu." La porte n'est toutefois pas totalement fermée, dit-il, "si une opportunité se présente". "Mais je n'irai pas démarcher des joueurs. Et puis, arrive un âge où on n'a plus forcément envie d'aller voir ailleurs quand on est bien à un endroit."

Sujet TV: Romain Miranda

Adaptation web: Pierrik Jordan

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