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Enquête ouverte après des accusations de violences policières lors d'une évacuation à Genève

"Votre ruine sera notre royaume" indiquait une banderole du collectif. [Keystone - Martial Trezzini]
Un collectif pro-logement évacué par un lourd dispositif policier à Genève / L'actu en vidéo / 2 min. / le 9 février 2023
A Genève, des activistes pour le droit au logement ont brièvement occupé jeudi un immeuble désaffecté des Pâquis. La police a évacué le bâtiment dans l'après-midi lors d'une opération mouvementée. Vingt personnes ont été interpellées et une enquête a été ouverte après des accusations de violences sur un journaliste et un député.

Les militants et les militantes du Collectif Rue Royaume ont forcé une entrée jeudi matin pour investir les quatre étages du bâtiment décrépi, à l'abandon depuis deux ans. "Par cette occupation, le collectif souhaite retirer cet immeuble de la spéculation immobilière et lutter contre la gentrification du quartier", ont-ils expliqué lors d'une conférence de presse.

Ils voulaient créer des espaces d'habitation collectifs ainsi que des locaux ouverts pour des activités communautaires et solidaires. "Cette contestation s'inscrit dans la lutte pour le droit à la ville et pour le droit au logement", a indiqué une activiste. Une grande banderole portant le slogan "Votre ruine sera notre royaume" a été déployée le long de la façade. Des fumigènes colorés ont été allumés depuis les fenêtres.

"Manque de dialogue" du Conseil d'Etat dénoncé

Le collectif d'occupation a rappelé l'histoire de cet immeuble du 8, rue Royaume, qui a été ravagé par un incendie au début janvier 2021. Ce sinistre avait dévoilé les conditions de vie tragiques des 46 personnes qui y logeaient, principalement des sans-papiers. Selon le groupe, qui a évoqué des enquêtes de plusieurs médias, le propriétaire profitait de leur situation précaire. Il ferait l'objet d'une procédure pénale.

>> Lire à ce sujet : Un immeuble évacué aux Pâquis, à Genève, en raison d'un incendie

"C'est une société en liquidation judiciaire (...), on n'est pas certains que l'Etat doive prioriser la protection du patrimoine de gens qui se comportent comme des voyous", a lancé un sympathisant à la station genevoise Radio Lac. Le membre de Solidarités Thomas Vachetta y déplore une opération réalisée "sans dialogue de la part du Conseil d'Etat" pour protéger un "propriétaire véreux". "Je n'ai rien contre la police, elle n'est pas venue toute seule. J'en veux au Conseil d'Etat", expose-t-il.

Interrogé vendredi dans Forum, Mauro Poggia a répondu à ces accusations qu'il juge "absurdes". "Je suis assez stupéfait qu'on inverse les rôles", assène-t-il (lire 2e encadré).

Vingt personnes interpellées

Un large dispositif policier a été déployé. [Keystone - Martial Trezzini]
Un large dispositif policier a été déployé. [Keystone - Martial Trezzini]

Suite au dépôt d'une plainte pénale pour violation de domicile et dommage à la propriété, la police genevoise a procédé à l'évacuation de la quinzaine d'occupants qui s'étaient retranchés au rez-de-chaussée et entre le 1er et le 2e étage.

Quelques dizaines de personnes étaient rassemblées devant l'immeuble pour soutenir le collectif. Les forces de l'ordre se sont rapidement déployées dans le périmètre et ont sommé à la mi-journée les sympathisantes et de sympathisants de quitter les lieux.

Selon de nombreux manifestants interrogés par la RTS, la police était "particulièrement agressive" et aurait fait un usage disproportionnée de la force. Des habitués des manifestations non autorisées ont expliqué que la police se contente habituellement de les encercler avant de les disperser.

>> Écouter les précisions de Forum vendredi :

Genève: l'évacuation d'un squat par la police fait polémique
Genève: l'évacuation d'un squat par la police fait polémique / Forum / 3 min. / le 10 février 2023

Au total, vingt personnes ont été interpellées, dont une mineure. Ces opérations ont perturbé le trafic. A 17h20, le porte-parole de la police a annoncé que l’immeuble était vide.

Violences de la police contre un journaliste

Le collectif a immédiatement dénoncé "cette évacuation sur ordre du Conseil d'Etat". Il demande la libération de tous les sympathisants et l'abandon des poursuites à leur encontre.

Reporter sans frontières Suisse a dénoncé pour sa part la violence de la police à l'encontre d'un photographe de la Tribune de Genève qui couvrait la manifestation. Ce photographe a reçu deux coups de matraque. Un policier lui a arraché sa carte de presse et l'a jetée par terre, précise RSF Suisse, qui s'insurge contre un tel geste, inadmissible. Dans un communiqué, RSF dit attendre de la police genevoise "qu'elle prenne les mesures nécessaires pour que de tels débordements ne se reproduisent pas". Une enquête a été ouverte (voir 1er encadré).

jop avec ats

Images vidéo: Jacqueline Pirszel

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Enquête ouverte sur les violences

L'Inspection générale des services (IGS), soit la police des polices, a annoncé vendredi qu'elle allait enquêter suite aux accusations de violences policières lors de l'intervention de jeudi. Outre le photographe de la Tribune de Genève, le député de gauche Jean Burgermeister affirme également avoir reçu des coups de matraque, et des militants ont accusé les agents d'avoir distribué des coups à hauteur de tête.

Le photojournaliste assure avoir montré sa carte de presse et s'être identifié. Selon son récit, le policier lui aurait alors dit n'en avoir "rien a foutre" et assené plusieurs coups.

De son côté, Jean Burgermeister assure qu'il a été frappé après s'être identifié comme un élu et avoir tenté de dialoguer pour faire baisser la tension. "Je n'avais plus été confronté depuis très longtemps, à Genève, à une telle attitude de la police. C'est-à-dire de refuser le dialogue d'une part, et de distribuer les coups à tout-va. C'est un fait rare qui me pousse à dire qu'il y a eu des directives!", déclare-t-il, mettant directement en cause le Conseil d'Etat.

Plainte contre inconnu pour les dégradations

Face à ces dénonciations, le porte-parole de la police Alexandre Brahier précise que les moyens de contrainte ont été limités, notamment en raison de la proximité des habitations et de la présence de badauds. Il explique que les manifestants refusaient d'obtempérer malgré plusieurs sommation. Il n'a pas été fait usage de gaz lacrymogènes, ni de balles en caoutchouc.

La police déplore des dégâts à hauteur de plusieurs dizaines de milliers de francs causé par des jets de peinture et de nourriture sur les tenues des agents. Une plainte pénale a été déposée contre inconnu.

Mauro Poggia: "C'est absurde de nous accuser de donner des instructions!"

Directement mis en cause par le député Ensemble à Gauche Jean Burgermeister, le conseiller d'Etat en charge de la police Mauro Poggia était invité vendredi soir dans Forum.

Il juge "absurde" l'accusation selon laquelle ses services auraient donné des instructions spécifiques pour que la police agisse de manière particulièrement rapide et musclée.

"On nous accuse de donner des instructions. C'est mal connaître le droit. (...) La police n'a pas besoin d'ordre, elle agit en fonction des circonstances, toujours avec proportionnalité", déclare l'élu du MCG, même s'il "n'exclut pas qu'il puisse y avoir des débordements."

"On comprend bien qu'il n'est pas toujours simple de faire une application proportionnée de la force face à des personnes bien plus nombreuses que les policiers et qui ont manifesté une agressivité à l'égard de la police", poursuit-il.

"Je suis assez stupéfait qu'on inverse les rôles", assène-t-il, rappelant que les personnes présentes soutenaient une action qui relève de la violation de propriété privée de la part de "personnes qui avaient clairement conscience du caractère illégal de leurs actions."

"Ce n'est pas la place d'un député, qui prête serment de protéger les lois de la République, de soutenir des personnes masquées qui entrent dans un lieu pour en prendre possession", rétorque-t-il ainsi à Jean Burgermeister.

Enfin, selon Mauro Poggia, le propriétaire de l'immeuble aurait obtenu récemment des autorisation pour transformer les appartements en vue de les louer.

>> Son interview complète vendredi dans Forum :

Enquête ouverte après l'évacuation d’un squat genevois: interview de Mauro Poggia
Enquête ouverte après l'évacuation d’un squat genevois: interview de Mauro Poggia / Forum / 4 min. / le 10 février 2023

En Vieille-Ville aussi

Une autre action pour dénoncer la spéculation immobilière a eu lieu jeudi en Vieille-Ville à l'initiative des représentants de la Liste d'Union populaire (LUP). Ils ont aussi déployé une banderole sur les échafaudages d'un immeuble qui serait laissé à l'abandon depuis 1996. Selon la LUP, les autorités ne font rien pour pousser le propriétaire - qui serait le même que celui de l'immeuble des Pâquis - à rénover le bâtiment.

Rémy Pagani, député d'Ensemble à Gauche et membre de la LUP, a annoncé le dépôt d'un projet de loi qui doit permettre aux autorités de réquisitionner les appartements vides et de les forcer à agir automatiquement "contre ces abus manifestes du droit de propriété".