Les conditions du centre de détention de Favra décortiquées devant le Tribunal à Genève
L'audience était inédite à plusieurs égards. Habituellement, les demandes de mise en liberté sont expédiées. Ce mardi, les discussions auront duré plus de six heures. Six heures durant lesquelles les juges se sont plongés dans les conditions de détention du centre de Favra à Puplinge (GE), qui accueille des personnes migrantes en attente de renvoi, principalement des requérants d'asile déboutés.
Les critiques sur les conditions de détention remontent à la création du centre il y a 10 ans. Mais le suicide début avril d'un jeune Tunisien a ravivé les revendications et mobilisé les avocats. C'est ce drame qui a provoqué l'audience, très suivie par la presse, le public et les associations, dont la Ligue suisse des droits humains, qui dénonce une responsabilité du Conseil d’État genevois.
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Prison pour innocents
Les avocats et la présidente du tribunal ont interrogé les deux détenus, incarcérés à Favra depuis quatre et onze mois, mais ils ont surtout assailli de questions la directrice de l'établissement. Car à travers l'étude de ces deux cas précis, c'est le procès de Favra qui se jouait: pour la première fois, les conditions de détention ont été débattues publiquement. Parmi les associations présentes, quelques larmes de soulagement ont été écrasées au sortir du tribunal.
Le reproche principal fait à Favra, c’est d'appliquer des conditions carcérales à des personnes qui ne sont pas condamnées pénalement. Cette observation avait déjà été faite par plusieurs organismes qui ont visité la prison, notamment en 2020 par la Commission nationale de prévention de la torture. Les détenus n’ont par exemple accès librement à l’extérieur que par une petite cour entièrement grillagée. "Même les moineaux ne peuvent pas y entrer", a décrit l'un des hommes devant le tribunal.
"Nous sommes des zombies"
Désormais, les avocats se font les porte-voix de l'ensemble des détenus qui demandent la fermeture de l'établissement. Après le suicide, les hommes incarcérés ont rédigé une pétition. Ils y demandaient leur libération, "sinon il y aura des dégâts, des suicides".
Mardi à la barre, les deux hommes ont raconté leurs camarades qui se mutilaient, témoignage confirmé par celui du porte-parole de la Ligue suisse des droits humains. Ils ont témoigné de leur détresse, décuplée par le suicide de leur compagnon.
L'un d'entre eux est en grève de la faim depuis plus de 50 jours. "Nous sommes comme des zombies", a-t-il déclaré, évoquant certains détenus "gavés d’antidépresseurs". Il a ajouté avoir déclaré un jour qu'il allait "imiter le Tunisien". Il a été mis deux jours à l’isolement.
En face, la directrice a reconnu que l'infrastructure n'était pas idéale, mais que tout était mis en œuvre pour que le séjour se déroule au mieux. "Les personnes peuvent toujours circuler librement dans les quartiers. Elles ont les clés de leur chambre." Elle a présenté les améliorations faites dernièrement au sein de la prison, comme la remise à niveau de la salle de sport, la mise à disposition d’un accès à Skype dans le parloir ou l’accès à une promenade extérieure sécurisée sous surveillance des gardiens.
Des éléments contredits par les deux détenus présents, qui ont affirmé ne pas avoir pu bénéficier de ces changements.
"Nous allons fermer Favra"
Un représentant de l'Office cantonal de la population et des migrations a souligné que le transfert des détenus n'est pas possible, faute de places dans d'autres centres. "Nous sommes tous d’accord pour dire que Favra peut être amélioré", a-t-il déclaré, estimant que l'établissement faisait de son mieux pour tenir compte des critiques. Il a demandé le rejet des demandes de mise en liberté.
Le jugement sera rendu dans les prochains jours. Les avocats estiment que s'ils obtiennent gain de cause, la libération de tous les autres détenus suivra. "La libération de ces deux personnes va déteindre, c'est évident. Tous les détenus ont les mêmes conditions", clame Dina Bazarbachi.
L'avocate avait commencé sa plaidoirie en interpellant la présidente du tribunal: "Madame la Présidente, ensemble, nous allons fermer la prison de Favra."
Anouk Pernet/jop
L'accompagnement médical en question
Parmi les critiques, on dénonce l'absence d'une équipe médicale en permanence sur place, ce qui ne permettrait pas de repérer les personnes en forte détresse psychologique.
Mais d'après le conseiller d'Etat Mauro Poggia, en charge des milieux carcéraux, cette dénonciation n'est pas légitime, notamment si on compare la situation avec la Suisse alémanique: "Ici à Genève, [...] il y a la possibilité de faire appel en tout temps à des médecins, sur le plan somatique ou psychologique, et il y a des infirmières deux fois par semaine."
Il estime ainsi que ce genre de drames sont parfois inévitables: "Dans la vie carcérale comme dans la vie, on n'arrive pas toujours à déceler les problématiques [psychiques], ça peut arriver".