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Tariq Ramadan, jugé pour viol, a évoqué des "échanges de caresses" devant les enquêteurs

L'islamologue Tariq Ramadan doit répondre dès lundi de viol devant le Tribunal correctionnel de Genève. Le Pôle Enquête de la RTS a eu accès à l'entier du dossier pénal. Révélations.
L'islamologue Tariq Ramadan doit répondre dès lundi de viol devant le Tribunal correctionnel de Genève. Le Pôle Enquête de la RTS a eu accès à l'entier du dossier pénal. Révélations. / 19h30 / 4 min. / le 14 mai 2023
Le procès de l'islamologue Tariq Ramadan pour "viol et contrainte sexuelle" s'est ouvert lundi devant le Tribunal correctionnel de Genève. Le Pôle Enquête de la RTS a eu accès à l'entier du dossier pénal et livre les principales révélations.

Nous sommes le 16 juillet 2020, à Paris. Il est 10h15 du matin. Tariq Ramadan se présente devant les magistrats instructeurs français et le procureur genevois Adrian Holloway. Il va être entendu pour la première fois sur la plainte pour viol déposée à son encontre par celle que les médias appellent Brigitte. Cette Romande l'accuse de l'avoir violée en 2008 dans un hôtel situé près de la gare Cornavin.

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Si l'interrogatoire de l'islamologue a lieu à Paris, c'est qu'il a alors l'interdiction de quitter le territoire français, où il fait également l'objet d'enquêtes pour viols sur plusieurs femmes.

Lors de son audition, dont la RTS a pris connaissance, Tariq Ramadan évoque tout d'abord ses premiers échanges, sur les réseaux sociaux, avec la plaignante. C'est elle qui lui écrit en premier après l'avoir croisé lors d'une séance de dédicace, mais aussi d'un festival. "On est dans une sorte de jeu. Et moi, je suis intrigué par cette façon active, extrêmement entreprenante, de m'envoyer des messages", explique-t-il aux enquêteurs.

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Après un mois d'échanges de messages, Tariq Ramadan lui propose un café dans l'hôtel dans lequel il loge, en marge d'une interview qu'il doit accorder à Darius Rochebin. "Dans un premier temps, je voulais la voir à côté de la gare, et puis finalement, pour des commodités, et aussi parce que j'étais fatigué, on s'est vus dans le lobby, la réception de l'hôtel."

Décolleté profond ou col roulé?

Selon Tariq Ramadan, ce mardi 28 octobre 2008, Brigitte porte "une tenue extrêmement expressive, au sens où le décolleté est profond, la poitrine est visible".  Elle, pour sa part, dit porter un pantalon large et un col roulé noir.

L'islamologue évoque une discussion d'environ deux heures, de 20h à 22h. Selon ses dires, lors de l'échange, il interpelle le réceptionniste et lui demande de déposer dans sa chambre une planche et un fer à repasser.

Au terme de sa discussion avec Brigitte, il assure qu'il lui dit au revoir au rez-de-chaussée. "On se salue, on se quitte en bas (…) Moi, je pars et je monte dans ma chambre. J'entre dans ma chambre, j'enlève ma veste, et on frappe à ma porte (…) Elle est venue frapper à ma porte."

Sur cet épisode, Brigitte livre une version bien différente dans sa plainte pénale du 13 avril 2018. Selon elle, lorsque le réceptionniste revient avec la planche et le fer à repasser, "Monsieur Ramadan a pris la planche et j'ai pris le fer sans que l'on m'en donne le choix (…) Tout en continuant à discuter, nous nous sommes alors levés et dirigés vers l'ascenseur, dans une ambiance de fraternité." Ce serait donc pour poser le fer qu'elle aurait suivi Tariq Ramadan dans sa chambre.

"Elle commence à m'embrasser"

Que se passe-t-il lorsque la plaignante et le prévenu pénètrent dans la chambre 511? Devant les enquêteurs, Tariq Ramadan explique que Brigitte demander à aller dans la salle de bains. "Elle sort de la salle de bains, elle est en longue nuisette (…) Elle est entreprenante de A à Z. Elle vient s'asseoir à côté de moi sur le lit. Et là, on reste un tout petit moment sur le lit à discuter, il y a un échange, un jeu. Et là, elle commence à m'embrasser (…) et moi, j'entre dans cette relation, je l'accepte (…) Ça a duré entre 10 et 15 minutes d'échanges de caresses avec les vêtements. Et après, 10 minutes, 15 minutes, ça va s'arrêter, par ma propre réaction."

"Je suis une poupée de chiffon"

Lors de l'audience de confrontation du 16 septembre 2020, toujours à Paris, Brigitte décrit une scène aux antipodes. "Dans la chambre, il s'est baissé pour brancher ou débrancher quelque chose. Quand il s'est relevé, il avait changé de visage, d'attitude, ce n'était pas la même personne. Il m'a poussée sur le lit en me tombant dessus (…) Il avait la mâchoire serrée, les yeux un peu plissés, l'air dur (…) Il se met à califourchon sur moi, il me donne des gifles (…) Je n'entends plus rien, je ne vois plus rien. Quoi que je dise, quoi que je fasse, ça ne changera rien (…) Pour lui, je ne suis plus rien, je suis un alibi, je suis une poupée de chiffon, il est dans son monde (…) J'ai vraiment pensé qu'il allait me tuer, m'achever à force de taper."

Verdict le 24 mai

Brigitte décrit plusieurs viols jusqu'au petit matin et affirme avoir quitté la chambre vers 6h30. Tariq Ramadan conteste tout rapport sexuel, ne serait-ce que consenti, mais confirme qu'elle est restée dans sa chambre toute la nuit. "Dans un premier temps, je lui ai demandé de partir. Elle m'a dit que c'était tard, qu'elle ne pouvait pas partir, qu'elle partirait à la première heure le lendemain matin (…) J'étais extrêmement fatigué, j'ai accepté qu'elle reste (…) Par deux fois pendant la nuit, si ma mémoire est bonne, elle s'est un peu rapprochée de moi, avec une recherche de gestes affectifs, je suis resté froid."

Pour le procureur Adrian Holloway, la version de Tariq Ramadan ne tient pas la route. Dans son acte d'accusation, le magistrat genevois fait état de trois viols dans la chambre ainsi que d'une contrainte sexuelle.

Il a renvoyé Tariq Ramadan devant le Tribunal correctionnel. Cela signifie qu'il entend donc requérir jusqu'à dix ans de prison à son encontre. Le procès est prévu sur deux ou trois jours et le verdict sera rendu le 24 mai.

Fabiano Citroni - Pôle Enquête

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"Ce fut la baston, horrible"

Dans le cadre de son instruction, le procureur Adrian Holloway a entendu une dizaine de témoins. Parmi eux, deux médecins qui ont reçu Brigitte dans les semaines qui ont suivi le viol qu'elle dénonce.

Le premier l'a vue pour la première fois le 5 novembre 2008, une semaine après le présumé viol. Interrogé par le procureur en novembre 2020, il affirme que Brigitte est venue le voir "car elle a subi une contrainte sexuelle quelques jours auparavant. Elle était affolée et souhaitait voir un thérapeute".

Le médecin se souvient avoir "noté un état d'agitation. Son discours était précipité. Elle avait effectivement un besoin de décharger. Elle souffrait cette dame".

Questionné lors de cette audience par l'avocate de Tariq Ramadan, le thérapeute confirme cependant que Brigitte n'a pas mentionné de "violences physiques" lors de leurs entretiens, mais aussi que ses notes ne font état d'aucun "acte sexuel".

Le deuxième médecin entendu lors de la procédure est le thérapeute qui suivait Brigitte à l'époque. En vacances lorsque le présumé viol a eu lieu, il a reçu sa patiente environ un mois plus tard, début décembre 2008. "Au tout début de la consultation, je me souviens très bien de ses mots : "Ce fut la baston, horrible." J'ai ensuite compris qu'il ne s'agissait pas uniquement d'une agression physique, mais également d'une agression sexuelle", déclare-t-il lors de son audition devant le procureur.

Dans ses notes prises en décembre 2008, après son rendez-vous avec Brigitte, le thérapeute précisait que la plaignante avait décrit "une emprise perverse violente qui l'a pétrifiée et privée de ses moyens de défense". Il avait aussi noté qu'elle était "très mal, honte, dégoût, injustice et peur", mais aussi qu'elle était "encore dans un état de stress aigu". 

Les dates clés

13 avril 2018

Alors que Tariq Ramadan, poursuivi pour viols en France, est en détention provisoire dans ce pays, une Suissesse, surnommée Brigitte dans les médias, porte plainte à son encontre à Genève pour contrainte, séquestration, contrainte sexuelle aggravée et viol aggravé. Elle évoque des faits survenus le 28 octobre 2008 dans un hôtel genevois.

7 septembre 2018

Après avoir pris connaissance d'un rapport de la police cantonale genevoise qui a auditionné la plaignante ainsi que huit autres personnes, le Ministère public genevois ouvre une instruction pénale pour viol et contrainte sexuelle à l'encontre de Tariq Ramadan.

15 novembre 2018

Tariq Ramadan, incarcéré depuis le mois de février en France, est remis en liberté. Il est sous contrôle judiciaire. Il a notamment l'interdiction de quitter le territoire français.

22 janvier 2019

Le procureur de la République de Paris écrit au Ministère public genevois qu'une mainlevée du contrôle judiciaire de Tariq Ramadan n'est pas envisageable en raison du risque de soustraction de l'intéressé à la justice française. Le procureur français demande alors une copie du dossier afin de pouvoir organiser une confrontation, en France, entre la plaignante suisse et Tariq Ramadan.

16 juillet 2020

Tariq Ramadan, accompagné de ses avocats, est entendu à Paris dans le cadre de la plainte déposée contre lui en Suisse. L'audition est menée par des magistrats français en présence du procureur genevois en charge du dossier.

16 septembre 2020

Première confrontation, à Paris, entre Tariq Ramadan et la plaignante suisse.

15 octobre 2020

Deuxième confrontation, toujours à Paris, entre Tariq Ramadan et la plaignante suisse.

10 au 13 novembre 2020

Sept témoins sont auditionnés à Genève en présence de Tariq Ramadan et de l'accusatrice suisse.

26 avril 2021

Les avocats de Tariq Ramadan demandent au Ministère public genevois de classer la procédure à l'encontre de leur client.

18 mai 2022

Le Ministère public genevois rend un "avis de prochaine clôture de l'instruction". Il annonce aux parties son intention de renvoyer Tariq Ramadan en jugement.

1er décembre 2022

Le Ministère public genevois rédige son acte d'accusation et décide de renvoyer Tariq Ramadan en jugement pour viol.

15 mai 2023

Procès de Tariq Ramadan