Ce projet pilote est présenté comme une première au niveau national par les deux associations porteuses du projet: SOS Femmes, spécialisée dans la réorientation professionnelle des travailleuses du sexe, et l'OrTra Genève, qui dispense notamment des formations dans le domaine de la santé et du social.
Toutes deux souhaitaient valoriser ce métier, souvent décrié mais bien légal en Suisse. "On a mis en place ce projet, parce que nous avons vraiment constaté que les travailleuses du sexe rencontrent des stigmates, des tabous autour de ce travail. C'est difficile de reconnaître ce travail et les compétences déployées", explique Martina Tarla, travailleuse sociale chez SOS Femmes, qui évoque des compétences telles que l'empathie, l'écoute, le service à la personne ou encore la gestion des horaires et des finances.
Parmi les participantes, seule une a accepté de témoigner, Louisa*: "Cette formation était un grand défi, notamment pour la langue. Pour moi, le plus dur, c’était la garde de mon fils, qui avait deux ans et demi au début de la formation. Mais ces efforts valaient la peine. J'ai désormais un diplôme, un emploi et un regard différent de la société".
Expérience professionnelle
La formation s'est faite en deux temps: une première année destinée exclusivement aux travailleuses du sexe, financée par une fondation genevoise. Et une deuxième année dans un cursus cantonal standard. Et tout au long de cette formation: des stages dans plusieurs EMS genevois.
Cinq femmes sont allées jusqu'au bout et ont obtenu leur attestation fédérale de formation professionnelle (AFP) en janvier. Depuis, plusieurs d'entre elles ont décroché un contrat.
Pour intégrer ce cursus, leur expérience professionnelle dans le travail du sexe a été reconnue. C'est un point central du projet. L'OrTra s'est portée garante. Un choix assumé par sa directrice, Dominique Roulin: "Leur expérience dans leur parcours de vie, y compris dans le travail du sexe, est une expérience professionnelle que nous reconnaissons".
"Tout travail est un travail"
Les compétences inhérentes à la prostitution ne sont toutefois par reconnues au niveau cantonal. Ces femmes sont traitées comme n'importe quel adulte qui a une expérience professionnelle préalable non qualifiée, indique l'Office cantonal de la formation, de l'orientation professionnelle et continue (OFPC)
"Pour nous, tout travail est un travail", relève la directrice Dao Nguyen. "Le législateur fédéral stipule que tout adulte doit avoir travaillé au moins cinq ans pour intégrer ce dispositif. Si ces femmes ont pu intégrer ce dispositif comme tout un chacun, c'est ce qui compte le plus pour moi".
Ce projet pilote avait été initialement imaginé par Roxane Aubry, ancienne coordinatrice de SOS Femmes aujourd'hui décédée. Il a été mené en toute discrétion pour préserver l'anonymat des femmes et il est aujourd'hui terminé. Un modèle similaire a depuis vu le jour, financé par le canton, pour s'adresser à un public précaire plus large. Même si l'association SOS Femmes espère conserver une formation spécifique aux personnes qui ont exercé le travail du sexe.
*prénom d'emprunt
Charlotte Frossard/gr/kb
Difficile d'en parler
"La société pose un regard sur le travail du sexe qui est empreint d'un jugement moral. Ce qui était important, c'était de protéger la confidentialité des participantes", explique Dominique Roulin. "Notre politique a été de dire 'dans chaque lieu, il y a une personne responsable qui sait pour pouvoir réagir en cas de problème".
Louisa* ne souhaitait d'ailleurs pas évoquer son passé: "Je n'en ai parlé à personne. Ce n'est pas quelque chose dont je souhaite parler. Je n’aime pas me souvenir de cette période".
Claudia Mascarenhas, travailleuse sociale chez SOS Femmes, relève que "s'il n'y avait pas autant de stigmatisation liée au travail du sexe, la reconversion ne serait pas aussi difficile".
La reconversion, pas pour toutes les personnes qui exercent la prostitution
Les participantes à ce projet pilote souhaitaient changer de métier, pour différentes raisons, mais ce n'est pas le cas de toutes les personnes qui exercent le travail du sexe.
"Il y en a qui veulent trouver un autre emploi et d'autres pas du tout", explique Pénélope Giacardy, coordinatrice de l'association Aspasie, qui défend les droits des personnes travailleuses du sexe. "Il y a des tas de travailleurs et travailleuses du sexe qui sont tout à fait bien dans cette activité."
Le nombre de personnes qui exercent à Genève est difficile à estimer: "Ce qui est sûr, c'est qu'il y en a plusieurs centaines. Mais c'est compliqué, car beaucoup de gens partent sans se désinscrire".