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Bras de fer entre le marchand d'art genevois Yves Bouvier et le fisc fédéral

Le bras de fer entre le marchand d'art Yves Bouvier et les autorités suisses rebondit après les déclarations d’une escort-girl
Le bras de fer entre le marchand d'art Yves Bouvier et les autorités suisses rebondit après les déclarations d’une escort-girl / 19h30 / 4 min. / le 11 juin 2023
L'ancien roi des ports-francs Yves Bouvier accuse les autorités fiscales fédérales d'avoir bâclé l'enquête le concernant et d'avoir frayé avec son ennemi juré l'oligarque Dmitry Rybolovlev. Ses avocats sont intervenus le 25 avril auprès de la Cour de justice à Genève, pour dénoncer "de nouveaux éléments" apparus dans cette affaire, selon les informations du 19h30.

L'enjeu est énorme: Yves Bouvier doit payer au fisc des arriérés d'impôts et des amendes pour des centaines de millions de francs…

Pour l'avocat d'Yves Bouvier, Yacine Rezki, "cette démarche est très importante puisqu'on a des éléments qui laissent planer un doute sérieux sur la partialité ou l'impartialité de l'enquête qui a été menée contre Monsieur Bouvier".

"C'est clair, j'ai fait des profits, mes sociétés ont fait des profits", reconnaît Yves Bouvier. "S'il y a des impôts à payer et qu'ils estiment qu'ils n'ont pas été payés, c'est une chose. Par contre, qu'on me fasse une enquête équitable et impartiale."

Une enquête fédérale sur le domicile fiscal du marchand d'art

Les faits remontent à 2017. Yves Bouvier est sous enquête de la puissante DAPE, division des affaires pénales de la Confédération qui poursuit les très gros contribuables. Enjeu, le domicile fiscal du marchand d'art. Lui déclare qu'il vit à Singapour, mais les autorités fiscales ne l'entendent pas de cette oreille.

Cette enquête fiscale intervient deux ans après le début des ennuis pour Yves Bouvier. Depuis 2015, il est accusé d'escroquerie par le Russe Dmitry Rybolovlev, dans la vente de plusieurs toiles de maître. L'oligarque l'accuse de l'avoir trompé et de s'être fait de l'argent sur son dos. Ce dossier, pénal, est toujours entre les mains de la justice genevoise.

Une escort-girl au jeu trouble

Au cœur des nouveaux éléments transmis par le camp d'Yves Bouvier à la justice, une ancienne escort-girl, dont le rôle a été dévoilé dans une vaste enquête d'Heidi News en 2020. Elle aurait assuré un drôle de triangle entre les enquêteurs de la DAPE, Yves Bouvier et le clan de Dmitry Rybolovlev.

Maria (prénom d'emprunt) témoigne dans le 19h30 de la RTS. [RTS]
Maria (prénom d'emprunt) témoigne dans le 19h30 de la RTS. [RTS]

La RTS a pu consulter des documents confidentiels. Ils montrent que cette ancienne escort a envoyé pendant des mois des informations aux enquêteurs fédéraux. Elle a notamment envoyé des enregistrements audio faits à l'insu d'Yves Bouvier.

Pour Yacine Rezki, "non seulement cette personne a transmis des enregistrements qui semblent être illégaux contre Monsieur Bouvier, mais il y a bien plus, elle a semble-t-il transmis des requêtes des enquêteurs à des personnes qui travailleraient pour M. Rybolovlev, des photographies de l'enquêteur privé de Monsieur Bouvier, elle a aussi indiqué que les enquêteurs lui auraient recommandé de ne pas transmettre certains éléments par email".

L'escort témoigne pour la première fois

Cette ancienne escort que nous appellerons Maria témoigne pour la première fois à la télévision. Une femme d'origine italienne et argentine, au parcours chaotique. Elle a passé 17 mois à Champ-Dollon, en particulier pour des vols dans des boîtes aux lettres.

Sa version diffère de celle d'Yves Bouvier. Elle explique au 19h30 que dans un premier temps, c'est le marchand d'art qui l'a engagée pour séduire et piéger l'inspecteur du fisc, en l'emmenant en dehors de sa juridiction, dans un de ses immeubles français.

"Le but d'Yves était de faire tomber la crédibilité du fisc fédéral suisse", explique Maria. "Je devais le faire venir à Paris, possiblement coucher avec lui. Mais surtout le faire entrer dans son immeuble. Il y aurait eu un ex-employé de son agence de détective, qui aurait pris des photos. Ces photos allaient être publiées avec cet agent fédéral en charge de l'enquête en train de mettre un pied dans un territoire hors de la Suisse."

Une version contestée

Yves Bouvier conteste cette version des faits: "Cette personne n'a fait aucun acte pour mon compte, n'a obtenu aucun résultat dans le cadre de l'enquête fiscale. Et cette personne à un moment donné m'a demandé de l'argent que j'ai refusé de lui donner. Elle a dû aller proposer ses services au clan Rybolovlev. C'est comme ça qu'elle a été débauchée."

Quoi qu'il en soit, le "piège" n'ira pas au bout. Et Maria avouera tout aux enquêteurs fédéraux, fin 2017, lors d'une rencontre à Genève, dans une pizzeria de l'aéroport de Cointrin: "Le chef en charge de l'enquête était décomposé, il était de toutes les couleurs, il a eu peur."

Services proposés à Dmitry Rybolovlev

A partir de là, Maria gardera le contact et continuera d'envoyer aux inspecteurs des documents confidentiels sur Yves Bouvier. Parallèlement, elle va offrir ses services à Dmitry Rybolovlev. Dans un email à Tetiana Bersheda, l'avocate d'alors du Russe, elle écrit: "Faites passer ce message à DR (ndlr. Dmitry Rybolovlev): je pense que nous devrions nous parler. Je pourrais être son atout chance." Maria assume: "Mon but c'était de travailler pour eux".

Mais l'avocate ne donnera pas suite. Par écrit, Tetiana Bersheda explique: "Ce message ne portait aucune signature et je ne savais pas qui en était l'auteur. Je n'y ai pas répondu."

Echange d'informations problématique?

Après ce mail, Maria sera contactée par un mystérieux homme qui dit travailler pour Dmitry Rybolovlev et avec qui elle va échanger des informations. Des échanges qui auront lieu parallèlement aux échanges d'informations avec les enquêteurs fédéraux. Ce qui pose problème selon les avocats d'Yves Bouvier.

Les avocats actuels de Dmitry Rybolovlev nient formellement toute implication. Sandrine Giroud et Benoît Mauron ont répondu par écrit à la RTS: "Sollicités par cette femme, nous n'avons donné strictement aucune suite à cette offre douteuse. Nous constatons une fois de plus que M. Yves Bouvier tente d'échapper à ses responsabilités légales par des subterfuges et des accusations sans fondement."

Contactées, la DAPE et l'administration fédérale des contributions ont refusé de commenter, invoquant le secret fiscal.

Ce sera à la justice de se prononcer sur ce nouveau chapitre d'une affaire qui occupe Yves Bouvier depuis 8 ans.

Gilles Clémençon

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