Genève sert de refuge à ces précieuses pièces archéologiques de Gaza depuis 2007, lorsque le Musée d'art et d'histoire (MAH) les a accueillies pour une exposition inaugurée par Micheline Calmy-Rey, alors ministre des Affaires étrangères et présidente de la Confédération, et Mahmoud Abbas, président de l'Autorité palestinienne. L'objectif initial était de créer le premier musée archéologique en territoire palestinien, visant à sortir Gaza de son isolement. Toutefois, ce projet n'a jamais été concrétisé.
Ce trésor inestimable repose depuis près de quinze ans dans les vastes hangars des Ports-Francs. Parmi les pièces, on trouve une statue d'Aphrodite en marbre blanc, des mosaïques byzantines, ainsi que des objets provenant des civilisations égyptiennes, perses et nabatéennes. Ces objets sont soigneusement emballés dans des boîtes, dans l'attente du jour où ils pourront retrouver leur terre d'origine.
Assurer la sécurité de la collection
Marc-André Haldimann, ancien conservateur du MAH, explique que le but du projet était de souligner l'importance du patrimoine pour toutes les nations de la région. Les habitants de Gaza ne pouvaient pas accéder à leur riche patrimoine, allant de l'Egypte aux Perses, en passant par les Romains et les Byzantins.
La création d'un musée archéologique était considérée comme un "instrument essentiel" pour forger une identité nationale et une fierté nationale, montrant que la région partageait une histoire commune, explique-t-il lundi dans La Matinale de la RTS.
Avec l'arrivée du Hamas au pouvoir quelques mois après l'ouverture de l'exposition genevoise, la situation s'est détériorée, et la collection est restée bloquée en Suisse. En 2016, la Ville de Genève a reçu une demande de restitution de la part de l'Autorité palestinienne. Trois ans plus tard, un protocole d'accord est signé entre l'Autorité palestinienne et la Ville de Genève pour le retour des objets en Cisjordanie.
Nous avons préparé le retour des collections... Mais nous ne pouvons pas nous permettre d'envoyer des pièces si le trajet entre Genève et Ramallah n'est pas balisé
"Nous avons préparé le retour des collections... Mais nous ne pouvons pas nous permettre d'envoyer des pièces si le trajet entre Genève et Ramallah n'est pas balisé", indique la conservatrice actuelle des antiquités classiques au MAH, Béatrice Blandin. "Si ces objets doivent attendre dans un entrepôt un certain temps - comme il s'agit d'un retour d'exposition - ces frais doivent être assumés par le MAH. Pour l'instant, Genève a donc la fonction de refuge pour ces objets."
Durant des années, la Ville de Genève a dû payer l'entreposage de ces œuvres qui occupent une centaine de mètres carrés aux Port-Francs, ce qui coûte 35'000 francs par an. La Confédération a accepté pendant un temps de couvrir une partie des coûts. Récemment, un accord a été trouvé et les frais sont désormais offerts à la Ville.
Un "énorme enjeu politique"
Nicolas Wadimoff, réalisateur de "L'Apollon de Gaza," un documentaire suisse sur le patrimoine archéologique de la région, souligne que montrer cette collection est un "énorme enjeu politique".
"Parler du patrimoine palestinien, en particulier de Gaza, revient à parler de l'existence de populations sur cette terre avant la création de l'Etat d'Israël", indique Nicolas Wadimoff.
Et d'ajouter: "Ce qui est à l'œuvre sous nos yeux maintenant, c'est l'effacement programmé d'une culture, d'un passé, d'une mémoire... et l'idée qu'avant - ce qui est le narratif souvent utilisé par Israël avant 1948 et la création de l'État d'Israël - il n'y aurait eu que des Bédouins qui habitaient dans le désert. Or, qu'est-ce qui témoigne de l'existence de population sur cette terre? Ce sont les vestiges archéologiques. Tout ça existe en nombre infini dans le sol de Palestine."
De trésor à boulet pour Genève
Ce trésor est devenu embarrassant pour la Ville de Genève. Quand on soulève la question de la possibilité de présenter ces œuvres au public, chacun se renvoie la balle. Le MAH redirige vers l'Office fédéral de la culture, lequel demande de s'adresser au Département des affaires étrangères (DFAE).
La réponse officielle indique que la Suisse "travaille depuis de nombreuses années" pour faciliter le rapatriement de la collection vers l'Autorité palestinienne en Cisjordanie. "Il est aujourd'hui convenu que la collection actuellement conservée à Genève soit remise à l'Autorité palestinienne en Cisjordanie, car les objets sont tous devenus sa propriété. Il s'agit là d’un long processus dépendant de nombreuses procédures administratives", indique le DFAE.
Et de poursuivre: "Dans la situation prévalant à Gaza, la Suisse rappelle à toutes les parties les obligations qui leur incombent en vertu du droit international humanitaire. Elles sont notamment tenues d'assurer la sauvegarde et la conservation des biens culturels."
Quant à savoir si le projet de musée à Gaza en collaboration avec la Suisse est toujours d'actualité, ni l'Office fédéral de la culture, ni le DFAE n'ont répondu à la RTS. Le MAH glisse lui qu'il est encore trop tôt pour en parler.
Sophie Iselin/vajo