"Nous confirmons que Robert Mardini, qui a été directeur général du CICR de 2020 à 2024 et membre du personnel pendant vingt-huit ans, a reçu une indemnité de départ telle que prévue dans son contrat de travail", indique le CICR.
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En 2021, son prédécesseur, Yves Daccord, avait touché plus de 300'000 francs d'indemnité de départ après vingt-cinq ans de service. Cela correspondait à douze mois de salaire, le maximum prévu pour les employés ayant passé plus de seize ans au CICR. Robert Mardini, qui remplit les critères pour toucher l'indemnité maximale, a été logé à la même enseigne, comme il le confirme à la RTS (lire sa prise de position écrite ci-après).
Près de 320'000 francs de revenus
Le CICR rappelle que "le montant de l'indemnité est calculé en fonction de l'ancienneté, du nombre de mandats et de l'âge du directeur au moment de la fin du contrat. Dans tous les cas, le montant total des indemnités de départ ne dépasse pas l'équivalent de douze mois de salaire - qui correspond également au plafond de l'indemnité de licenciement pour tout employé du CICR."
Selon les données les plus récentes du fisc américain, Robert Mardini a gagné en 2022 près de 350'000 francs (386'580 dollars), auxquels se sont ajoutés près de 67'500 francs (74'321 dollars) de rémunérations diverses.
Selon l'intéressé, ces montants doivent être relativisés, car ils englobent les frais de représentations, la part de l'employeur du deuxième pilier et la participation du CICR aux frais d'écolage, selon le règlement du personnel mobile en vigueur. Ainsi, son salaire de base se montait à 320'000 francs.
Accompagner des reconversions
Historiquement, ces généreuses indemnités de départ avaient vu le jour pour accompagner les reconversions professionnelles après de longues missions à l'étranger. Elles avaient ensuite été étendues à l'ensemble du personnel dont le contrat n'est pas renouvelé ou prend fin.
Pour les membres de la direction, le CICR avait estimé que la durée limitée de leur mandat, renouvelable ou pas, justifiait de les inclure dans le système. Cela leur permettait de se consacrer à leur mandat jusqu'au dernier jour et de ne pas penser à la suite.
390'000 francs aux HUG
Or, Robert Mardini a eu des contacts avec les HUG bien avant la fin de son mandat à la tête du CICR, le 31 mars 2024. Si bien qu'il a été nommé par le Conseil d'administration de l'hôpital cantonal le 25 mars 2024, soit la semaine précédant son départ de l'organisation humanitaire. Le Conseil d'Etat genevois a ratifié cette nomination un mois plus tard, le 24 avril 2024.
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Robert Mardini deviendra donc directeur général des HUG le 1er septembre prochain. A cette occasion, il touchera un salaire fixe supérieur à celui qu'il touchait au CICR, à savoir 390'000 francs par an, selon l'Etat de Genève (voir encadré).
Indemnité justifiée?
Cette indemnité de départ se justifie-t-elle dès lors? Ce d'autant que le CICR, alimenté principalement par de l'argent public, vit des difficultés financières sans précédent avec près de 1800 licenciements et multiplie les appels aux dons. Sollicité l'an dernier par l'organisation humanitaire, le Conseil d'Etat genevois lui avait accordé une aide extraordinaire de près de 40 millions de francs.
"On ne peut pas empêcher Monsieur Mardini de toucher ses indemnités de départ", constate le conseiller national Nicolas Walder (Verts/GE) dans le 19h30 mercredi. "Maintenant, je pense qu’il aurait pu prendre sur lui de renoncer à tout ou partie de cette indemnité, sachant qu’il est engagé immédiatement aux HUG et que le CICR est dans une situation financière très compliquée. J’aurais donc pu attendre de lui qu’il fasse un effort à ce niveau-là."
Dégât d'image
Présidente de la commission de la santé du Grand Conseil genevois, la députée PLR Natacha Buffet-Desfayes partage cet avis et regrette un dégât d'image. "Je pense que cela donne un mauvais signal à la population. Il est quand même difficile d’entendre qu’une personne qui a déjà un travail aux HUG, un travail important pour la population, et que le CICR ait été aidé au niveau financier l’année dernière par le canton à hauteur de 40 millions. C’est un message qui est complètement troublé."
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Robert Mardini assume et justifie son choix d'avoir touché cette indemnité de façon pleine et entière. Avisé par la RTS, le ministre de tutelle des HUG, Pierre Maudet, ne commente pas "s'agissant d'un fait qui ne concerne pas l'Etat et l'employeur du futur directeur général". Même position pour le président du Conseil d'administration des HUG, Alain-Dominique Mauris.
Fin de la pratique
Le CICR, lui, n'est pas resté insensible aux critiques suscitées par cette pratique coûteuse d'indemnités de départ. Il révèle à la RTS qu'il a mis un terme à ce que certains considèrent comme des parachutes dorés.
"A compter de 2024, les nouvelles nominations à des postes de direction ne comportent plus d'indemnités de départ spécifiques dans le cadre de leur rémunération. Cela inclut le poste de directeur général."
Raphaël Leroy, Pôle enquête de la RTS
Le salaire du nouveau directeur des HUG a été raboté
Robert Mardini va toucher une rémunération supérieure aux HUG que ce qu'il touchait au CICR. Avec ses 390'000 francs annuels, il gagnera cependant sensiblement moins que son prédécesseur aux HUG, Bertrand Levrat, a appris la RTS.
L'ancien directeur général des HUG gagnait jusqu'ici 450'000 francs par an, après avoir vu son salaire augmenter, en mars 2023, de quelque 70'000 francs. Le Conseil d'Etat genevois avait justifié cette hausse en indiquant notamment que le directeur général des HUG était celui qui gagnait le moins parmi les hôpitaux universitaires suisses. Il s'agissait alors d'une sorte de rééquilibrage.
L'exécutif cantonal a donc profité du changement tête au sommet des HUG pour modifier la donne. Pourquoi? Questionné à ce sujet par la RTS, le président du Conseil d'administration des HUG, Alain-Dominique Mauris, rappelle que la rémunération du directeur général "relève exclusivement du Conseil d'Etat". Mais il précise que ces 390'000 francs sont "un salaire de départ qui pourra être appelé à augmenter en fonction des résultats".
L'expertise relative de Robert Mardini en matière de santé publique ainsi que son expérience vierge au sein des HUG expliqueraient ce retour en arrière, selon différentes sources. Contacté, le Département des mobilités et de la santé (DSM) indique, sans autre explication, que "la rémunération du nouveau directeur général correspond à la classe salariale 33, annuité 22 de l'échelle des traitements du personnel de l'Etat, à quoi s'ajoutent 127'339 francs de rémunération hors cadre décidée par le Conseil d'Etat".
Robert Mardini: "Mes conditions contractuelles sont équitables"
Pôle enquête de la RTS: Confirmez-vous avoir touché une indemnité de départ de la part du CICR après 28 ans de service au sein de l'institution genevoise?
Robert Mardini: Une indemnité de départ conforme au règlement en vigueur et telle que prévue dans mon contrat d'engagement m'a été versée.
A combien se monte cette indemnité?
Elle correspond à ce qui était prévu dans le règlement et les dispositions contractuelles lors de ma prise de poste.
Cela correspond-il à l'indemnité maximum prévu par le CICR (douze mois de salaire), comme ce fût le cas de votre prédécesseur Yves Daccord, sachant que vous remplissez de facto les critères d'ancienneté pour toucher l'indemnité maximale?
C'est exact. L'indemnité de départ est déterminée en prenant uniquement le salaire de base (320'000 francs) et s'élève en ce qui me concerne à 295'000 francs.
Historiquement, ces indemnités de départ permettaient aux membres de la direction du CICR de se consacrer à leur mandat jusqu'au dernier jour et de ne pas penser à la suite. Or, vous avez postulé aux HUG bien avant la fin de votre mandat à la tête du CICR, fin mars. Dans ce contexte, votre indemnité de départ se justifie-t-elle encore?
Il me semble important de clarifier ici quelques éléments factuels. Je me suis consacré pleinement à mon mandat de directeur général du CICR jusqu'au dernier jour, avec la même intensité, fierté, constance, rigueur, humilité et motivation que lors de ma première mission sur le terrain.
J'ai annoncé fin août que je ne me projetais pas dans un second mandat. Naturellement, plusieurs entreprises notamment de recrutement m'ont approché dont celle qui a été mandatée par le Conseil d'administration des HUG pour les aider dans le processus de recrutement de leur prochain directeur général.
Je crois profondément dans la mission des HUG. La préservation de la santé des populations affectées par les conflits a d'ailleurs été un fil rouge de mon action au CICR. Il semblait donc cohérent de tenter de rejoindre les HUG sans pour autant délaisser mon poste de Directeur général au CICR.
Le Conseil d'administration des HUG m'a sélectionné pour le poste de directeur général le 25 mars, mais tout au long du processus rien n'était garanti avant ma nomination par le Conseil d'Etat après la fin de mon mandat au CICR.
Avez-vous proposé au CICR de toucher une indemnité moins importante que ce que vous pourriez, eu égard au fait que vous aviez déjà retrouvé un travail, lui aussi très bien rémunéré, aux HUG?
Les indemnités de départ pour les directeurs et directrices du CICR, qui sont également des employés, sont versées à la fin de leur mandat dans le cadre de conditions salariales qui doivent rester compétitives pour des fonctions particulièrement exposées et très exigeantes. Ces conditions contractuelles sont équitables et comparables à d'autres fonctions de direction équivalentes.
Je tiens à souligner par ailleurs, que pendant mon mandat de directeur général (mars 2020-mars 2024), à deux reprises en 2021 et en 2023, lorsque la direction a décidé de faire des coupes budgétaires en raison d'une diminution des contributions financières de nos donateurs, les membres de la direction et moi-même avions décidé, en guise de solidarité, de faire volontairement une contribution financière au CICR.
Que répondez-vous à celles et à ceux qui pourraient s'offusquer du fait que vous touchiez une telle indemnité de départ, vu comme un parachute doré, alors que l'organisation que vous laissez, le CICR, est alimentée principalement par de l'argent public et vit des difficultés financières sans précédent?
Je les inviterai à considérer les éléments suivants: être directeur ou directrice du CICR consiste à diriger une organisation de près de 20'000 collaborateurs et collaboratrices avec un budget annuel supérieur à 2 milliards de francs qui opère dans les environnements les plus complexes et instables de la planète.
Cela signifie opérer, soutenir et encadrer les équipes qui travaillent dans des environnements dangereux et imprévisibles, négocier avec les belligérants (représentants étatiques et des groupes armés) gérer des dilemmes éthiques, des enjeux opérationnels et réputationnels, des risques sécuritaires ou des crises d'otages tout en générant du soutien politique (pour les Conventions de Genève, l'accès humanitaire) et financier (donateurs gouvernementaux et privés), etc.
Dans un monde marqué par des multiples crises, en constante augmentation, la mission du CICR est cruciale, car il s'agit de protéger la vie et la dignité des victimes de conflits armés et d'autres situations de violence, et de leur porter assistance. Le ou la directrice générale avec les membres de la direction ont des rôles importants dans cette mission fondamentale pour l'humanité.
Les rémunérations des directeurs/directrices et du directeur général du CICR sont raisonnables. Elles sont entre 15% à 25% inférieures à des rôles équivalents dans les organisations internationales et autres institutions comparables au CICR selon des exercices de 'benchmarking' réguliers effectués par le CICR.
La Commission de l'Assemblée du CICR, qui a approuvé ce règlement, a considéré que le système d'indemnité de départ des directeurs/trices et du directeur général était cohérent par rapport à celui des conventions collectives de travail pour tous les employés du CICR.
Et la crise financière de l'institution?
Concernant la crise financière (résultant, il faut le rappeler, de diminutions importantes des financements humanitaires hors Ukraine, et de l'inflation, dans un contexte géopolitique chahuté où les besoins humanitaires continuent d'augmenter) qui a durement touché l'ensemble du secteur humanitaire dont le CICR, la direction du CICR que j'ai présidée jusqu'à fin mars 2024 a travaillé simultanément et sans relâche avec les équipes du siège et du terrain sur les mesures de réductions programmatiques, structurelles et d'optimisation ainsi que sur l'intensification des efforts de levée des fonds.
La clôture de l'exercice budgétaire de 2023, à l'équilibre, confirment que les finances du CICR sont saines avec un retour à une situation favorable comparable à fin 2021. La gestion du CICR a été reconnue exemplaire par ses donateurs qui se réfèrent à la gestion transparente et professionnelle de la crise financière par le CICR comme un exemple à suivre. Tout en reconnaissant la difficulté d'arrêter des activités humanitaires cruciales pour les populations affectées et de se séparer de collègues compétents et motivés, ces réductions et ces départs douloureux étaient hélas inévitables pour sauvegarder l'organisation.
Le CICR a fait depuis toujours le choix d'exiger une gestion professionnelle et rigoureuse de ses employés et ses cadres, la rémunération est en rapport avec l'exigence, la pression importante de tous azimuts et bien entendu le caractère humanitaire de la mission de l'institution.
N'estimez-vous pas que toucher une telle indemnité avant de prendre les rênes des HUG peut avoir pour conséquence un dégât d'image potentiel pour vous, le CICR et l'hôpital cantonal, alors que la rémunération des cadres d'UBS ou des assureurs-maladie fait polémique actuellement?
Dans un contexte économique complexe la question de la rémunération des dirigeants est en effet une question sensible. Cependant, il ne faudrait pas comparer ce qui n'est pas comparable.
Le CICR a mis un terme à cette pratique d'indemnité de départ pour les nouveaux arrivants, depuis le début de l'année 2024. Votre successeur Pierre Krähenbühl n'est par exemple plus sous ce régime. N'est-ce pas l'aveu d'une pratique qui ne se justifie plus aujourd'hui?
Les politiques de rémunération ne sont pas une science exacte et certainement pas statique. Elles évoluent selon les réalités du marché du travail, la situation économique et les sensibilités politiques et sociales. A titre personnel, je me suis récusé de toutes les délibérations relatives à la rémunération de la fonction du directeur général du CICR pour éviter tout conflit d'intérêt ou perception de conflit d'intérêt.
Le Conseil d'Etat genevois a décidé de vous rémunérer 390 000 francs en tant que directeur des HUG. C'est moins que votre prédécesseur Bertrand Levrat qui gagnait 450 000 francs. C'est largement moins aussi que les autres directeurs d'hôpitaux universitaires suisses. Comment voyez-vous cette situation?
La rémunération n'a jamais été ma motivation première pour un poste. J'ai accepté une rémunération inférieure à celle perçue par mon prédécesseur au CICR en 2020; j'accepte maintenant une rémunération inférieure à celle de mon prédécesseur aux HUG.
Ce sont des choix personnels. J'ai accepté la mission confiée par le conseil d'administration des HUG et par le Conseil d'Etat, car j'ai toujours porté avec conviction, dans l'action et dans le plaidoyer, l'impératif d'assurer le continuum et la qualité des soins de santé.
J'ai œuvré contre la discrimination dans l'accès aux soins ainsi que contre la violence ciblant les structures et services de santé. Les HUG sont une magnifique institution publique, au service d'une communauté. Fondamentalement, c'est ce qui m'a motivé dans ce choix de rejoindre les HUG.