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Deal de rue: "Je vends de la drogue pour survivre", confie un dealer en quête de régularisation

Vente des substances illégales. [Fotolia - Fotolia/razyph]
L’engrenage des milieux de la drogue: témoignage d’un dealer à Genève / La Matinale / 3 min. / le 14 octobre 2024
Le deal de rue, en pleine explosion, mobilise les autorités et met sous pression le dispositif sanitaire et sécuritaire. Alors que des villes réclament des mesures contre les vendeurs de drogue, la RTS s'est entretenue avec l'un d'eux à Genève pour tenter de comprendre son quotidien.

Inu a quitté le Nigéria en 2016 pour fuir les conflits armés qui font rage dans son pays. Après avoir déposé une demande d'asile en Italie, puis en France, il est arrivé en Suisse. Sans statut légal et vivant à la rue, à Genève, il a commencé le deal "pour survivre".

Vendre de la drogue lui permet d'avoir "un peu d'argent pour manger", explique le jeune homme d'une vingtaine d'années au micro de la RTS. Mais il reconnaît les peurs et l'agacement qui surviennent chez les riverains face aux dealers de rue.

"Faire profil bas"

"On se dit qu'on doit faire doucement, faire profil bas", souligne Inu dans La Matinale. "On leur doit ça, on ne doit pas les déranger". Il estime toutefois que les dealers ne sont pas les seuls à blâmer. Selon lui, ce sont aussi les interventions parfois musclées des forces de l'ordre dans les quartiers qui provoquent du grabuge.

Certains "vous frappent, vous prennent tout ce que vous avez", mais tous les policiers ne sont pas mauvais, raconte le dealer. "Si c'est quelqu'un de bien, il aura pitié de vous", estime-t-il.

Le permis de séjour comme échappatoire

Pour Inu, la solution réside dans l'obtention d'un permis de séjour. Il compte déposer une demande d'asile en Suisse pour sortir de "ce genre de pétrin". Ne pas avoir de statut légal fait de lui un "prisonnier".

"Je souffre pour ça, pour avoir des documents. Pourquoi je vendrais de la drogue, sinon?" argue le dealer. Mais Inu garde l'espoir d'être régularisé et de pouvoir contribuer financièrement à la société.

Un système de rabattage

A Lausanne, Mike (prénom d'emprunt, ndlr) se décrit comme un consommateur refusant de "voler, de faire la manche ou de se prostituer". Alors, il dit aiguiller "de bons clients" vers des dealers, qui le paient en "matériel" ou en "argent". "C'est comme ça que j'arrive à consommer toute la journée", explique-t-il dans La Matinale.

L'homme "facilite la tâche" des dealers, surtout lorsque "les policiers tournent beaucoup", en jouant notamment l'intermédiaire pour toucher une "commission", comme il le détaille au micro de la RTS.

Mike dit également comprendre l'énervement du voisinage concernant le deal de rue. Selon lui, "un bon rabatteur, c'est justement quelqu'un qui va éviter de faire ça en dessous d'un appartement" ou "devant les enfants": "on va essayer d'être le plus discret possible".

>> L'interview de Mike dans La Matinale :

A Lausanne, Mike (prénom d'emprunt, ndlr) dit aiguiller "de bons clients" vers des dealers, qui le paient en "matériel" ou en "argent".
Deal de rue: témoignage d'un rabatteur / La Matinale / 1 min. / le 14 octobre 2024

Sujets radio: Charlotte Frossard, Mehdi Piccand et Grégoire Molle

Adaptation web: Mérande Gutfreund

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Une situation "hors de contrôle" dans le canton de Vaud?

Dans d'autres villes de Suisse romande, comme Vevey, Lausanne ou Yverdon, les dealers sont également omniprésents et les toxicomanes toujours plus visibles dans l'espace public. Le sentiment d'insécurité augmente dans la population.

Les trois communes vaudoises ont lancé l'alerte dans une lettre envoyée au Conseil d'Etat, soulignant une situation intenable et un système répressif à l'arrêt. Dans la foulée, le gouvernement vaudois a mis un place une task force contre le deal de rue, comprenant notamment des opérations "coup de poing".

La problématique prend de l'ampleur. Des élus prient désormais le Conseil fédéral de prendre des mesures pour endiguer le trafic de drogue dans les centres urbains.

Loïc Pignolo: "Tous les deux ou trois ans, on a une polémique qui sort autour du deal de rue"

Pour Loïc Pignolo, enseignant et chercheur aux Universités de St-Gall et de Genève, spécialiste des échanges marchands dans le deal de rue, "tous les deux, trois ans, on a une polémique qui sort autour du deal de rue". Mais selon lui, il est important d'essayer de désindividualiser le regard, "de pas regarder seulement les personnes, mais le système plus global autour".

Certes, on parle là d'un marché illégal, mais les problèmes qui lui sont liés, et en l'occurrence la violence, sont plutôt limités, observe-t-il. "Dans mes recherches en tout cas, j'ai pu constater que les vendeurs essayaient d'éviter autant que possible la violence, afin de rassurer leurs clients, de légitimer leur présence auprès des riverains et d'éviter d'attirer l'attention de la police." Même si la violence ne peut pas toujours être exclue lorsqu'il s'agit de deal de rue, conçoit-il, notamment dans le cas du crack, drogue particulièrement addictive connue pour rendre le consommateur en manque particulièrement agressif.

Et pour lui, le deal de rue ne représente qu'une petite partie de la problématique du marché de la drogue, allant des marchés fermés et privés aux marchés ouverts et publics. "Le deal de rue attire le plus l'attention, mais à côté de ça, il y a les marchés plus fermés, où des dealers et des clients se retrouvent à l'abri des regards."

L'espace public, en tant que lieu de rencontre entre l'offre et la demande, est problématique pour tous les acteurs (dealers, clients, commerçants, habitants), et met en lumière une certaine précarité qui prend de plus en plus d'ampleur dans nos villes, poursuit-il. La précarité qui est l'autre aspect du problème sur lequel il est important selon lui que les autorités se penchent.

>> L'interview de Loïc Pignolo dans La Matinale :

Mieux comprendre les réseaux de deal: interview de Loïc Pignolo
Mieux comprendre les réseaux de deal: interview de Loïc Pignolo / La Matinale / 9 min. / le 14 octobre 2024