Comment vivait-on autour de la rade genevoise durant la préhistoire?
"L'âge du bronze final n'est pas la période la plus ancienne, mais c'est celle où nous avons les données les plus complètes sur l'habitat autour du Léman", précise mercredi dans l'émission Forum de la RTS Pierre Corboud, préhistorien et coauteur d'une récente monographie sur les quarante ans de fouilles archéologiques.
En effet, les vestiges des périodes antérieures ont été largement érodés par les fluctuations du niveau des eaux, plus particulièrement dans un grand lac dynamique comme le Léman.
Les fouilles ont mis en lumière la présence de milliers de pilotis dans la rade de Genève, vestiges d'habitations lacustres. "Il en reste environ 2000 ou 3000 de moins aujourd'hui, car certains ont déjà été extraits et étudiés. Ces pilotis nous renseignent sur la structure des habitations et nous permettent de comprendre comment les hommes vivaient au bord du lac", explique Pierre Corboud.
Ces maisons étaient construites près de la rive, surélevées pour éviter les inondations saisonnières et les crues accidentelles. "Ces villages étaient protégés par des palissades brises-vagues, une précaution contre les remontées d'eau saisonnières ou exceptionnelles", poursuit-il.
Aucune construction au-dessus de l'eau
Les fouilles ont également permis de déconstruire des idées anciennes. A l'origine, on pensait que les maisons étaient construites sur des plateformes au-dessus de l'eau.
Cependant, Pierre Corboud précise: "Ce n'étaient pas des maisons sur des plateformes flottantes, mais des maisons érigées sur la rive, en période de bas niveau des eaux." Cette construction permettait de protéger les habitants de l'humidité du sol et d'éviter les nuisances causées par des rongeurs, comme dans les mazots en Valais.
Cela nous offre une connaissance intime de l'alimentation et des récoltes de l'époque, mais aussi des datations très précises grâce à l'étude des pieux de bois
La vie quotidienne à cette époque se rapprochait de celle des premiers siècles du Moyen Âge, selon le préhistorien. "Ce sont des agriculteurs et des éleveurs qui possédaient des animaux comme des bœufs, des moutons et des cochons. Leur agriculture reposait sur le défrichage, parfois par brûlis. Leur mode de vie était comparable à celui du VIIIe ou IXe siècle de notre ère", explique-t-il.
Ces fouilles ont permis de découvrir des vestiges organiques exceptionnellement bien conservés, notamment du bois, des écorces et des feuilles. "Cela nous offre une connaissance intime de l'alimentation et des récoltes de l'époque, mais aussi des datations très précises grâce à l'étude des pieux de bois", note Pierre Corboud.
Des variations du niveau du lac
Les recherches ont aussi mis en lumière plusieurs périodes de dégradations climatiques majeures. Entre 4000 et 800 avant notre ère, au moins trois dégradations climatiques importantes ont affecté la région, notamment des sécheresses. Le niveau des eaux a pu chuter de six mètres par rapport au niveau actuel, mentionne par exemple Pierre Corboud.
Ces fouilles ont été rendues possibles grâce aux travaux d'aménagement du territoire, par exemple, le projet de la plage des Eaux-Vives. "Quand on m'a annoncé que les fouilles allaient être réalisées, j'ai été ravi. Depuis des années, je demandais à ce que l'on puisse fouiller ce site, mais on me répondait que ce n'était pas le moment ou qu'on n'avait pas l'argent", se souvient Pierre Corboud.
"La station littorale Bronze final du Plonjon et les sites préhistoriques de la rade de Genève", de Pierre Corboud et Christiane Pugin Russbach, Cahiers d'archéologie romande n° 192, 320 pp.
Propos recueillis par Mehmet Gultas
Adaptation web: vajo
Encore des questions…
Cependant, après quarante ans de recherches, de nombreuses questions restent sans réponse. Le préhistorien Pierre Corboud évoque notamment le mystère de deux villages importants, situés sur les rives des Pâquis et des Eaux-Vives autour de 1060 avant notre ère.
"Pourquoi ces deux villages n'ont-ils pas fusionné en un seul?", se demande-t-il. Etait-ce en raison de conflits entre les habitants, ou d'autres raisons encore inconnues? Ces questions resteront probablement sans réponse, laissant place à de nombreuses hypothèses.
"Après environ moins d'un siècle d'occupation de ces deux villages, ils se sont finalement réunis sur le site du Plongeon, où ils ont pu prospérer pendant près de 200 ans, jusqu'à ce que le niveau des eaux remonte brusquement, les forçant à abandonner le lieu."