Des violences psychologiques systémiques à la Clinique de médecine dentaire de Genève
Sophie* a accepté de s'exprimer anonymement au micro de la RTS. "Je suis terrorisée. J'ai peur qu'on se venge aux examens si l'école apprend que je témoigne. Les étudiants qui ont osé dénoncer [la situation] ont raté leur année, sans explication", raconte-t-elle lundi dans le 19h30.
Cette étudiante de la Clinique universitaire de médecine dentaire (CUMD) de l'Université de Genève (UNIGE) rêve de devenir dentiste. Mais depuis des mois, sa formation a viré au cauchemar dans cette école qu'elle décrit comme tyrannique.
"Cela fait des mois que je rentre à la maison en pleurs. Ce sont des attaques quotidiennes. Mes superviseurs me crient dessus et disent que je suis nulle devant tout le monde, sans préciser ce qui ne va pas. Je suis obligée d'aller chez le psy. Cela me détruit, je me sens honteuse et stupide. J'ai peur d'y retourner en septembre", témoigne-t-elle.
Un document accablant
Sophie fait partie des 43 étudiantes et étudiants, sur les 80 que compte la CUMD, à avoir alerté en février dernier leur université sur le comportement de certains membres du corps professoral.
Cela fait des mois que je rentre à la maison en pleurs. Ce sont des attaques quotidiennes. Mes superviseurs me crient dessus devant tout le monde
La sonnette d'alarme est partie d'une lettre anonyme qui a poussé les autorités universitaires à lancer une enquête auprès des universitaires de 3e, 4e et 5e année, en formation clinique. Plus de la moitié ont ainsi décrit des situations de maltraitance.
Un document brouillon de huit pages, synthétisant les 43 témoignages, a accidentellement fuité il y a cinq mois. "Les étudiants, en majorité, se sentent épuisés émotionnellement. […] Beaucoup sont en détresse, stressés, en pleurs chaque jour et suivis par leur médecin", peut-on notamment lire dans le procès-verbal.
Le document accuse les formateurs et formatrices d'un manque d'impartialité, notamment envers les universitaires étrangers. "Il est observé que dans certaines cliniques, les personnes d'origine ethnique différente sont davantage moquées, contrôlées, humiliées."
Un sentiment d'impunité semble également régner au sein des superviseurs accusés: "Plusieurs étudiants ont entendu dans le couloir [...]: "Moi, la charte [déontologique], je m'en fous complètement. Si on m'emmerde, je dis que je suis juif et PD, et plus personne ne peut rien faire ou me dire"", est-il aussi écrit.
Les étudiants étrangers particulièrement ciblés
Contactés par la RTS, cinq autres étudiantes et étudiants ont indiqué avoir lu le document qui a fuité et affirment que ces pages reflètent le climat actuel à Clinique universitaire de médecine dentaire. Toutes et tous ont refusé de témoigner face caméra par crainte de représailles sur leur cursus.
Il est observé que dans certaines cliniques, les personnes d'origine ethnique différente sont davantage moquées, contrôlées, humiliées
Ils relatent toutefois des humiliations et des moqueries racistes visant particulièrement les étudiants d'origine étrangère. "J'ai entendu un assistant imiter l'accent d'un étudiant étranger, c'était humiliant", raconte l'un d'eux. "Les redoublants, ce sont toujours les étrangers", déclare un autre.
Parfois, ces actes sont même perpétrés devant la patientèle, témoignent-ils encore.
Un "problème systémique"
Le décanat de la faculté de médecine de l'Université de Genève, à laquelle est rattachée la CUMD, se dit sous le choc. Il reconnaît un phénomène systémique: "Nous avons un vrai problème. Cela touche en tout cas la moitié des personnes qui ont jugé bon de venir témoigner. Ce ne sont pas juste des problèmes de comportements individuels. Il y a un problème de fond, que j'appellerais un problème de culture inappropriée, au sein de cette section de médecine dentaire", relève le doyen de la faculté Antoine Geissbühler.
Le décanat et le rectorat de l'UNIGE ont convoqué les formateurs cités dans le procès-verbal pour un rappel à la charte éthique de l'Université, en guise d'avertissement.
Ce ne sont pas juste des problèmes de comportements individuels. Il y a un problème de fond
Quant aux sanctions, Antoine Geissbühler indique qu'"elles ont été évoquées", mais que "l'idée est [plutôt] de se concentrer sur le fait que nous avons un problème systémique". Les mesures ont pour l'heure consisté à "expliquer quelles étaient les lignes rouges qui ne seraient pas tolérées, en particulier les mesures de représailles ou d'intimidations des étudiants par les enseignants", détaille le responsable.
Pour prévenir toute intimidation dans le futur, les examens oraux seront désormais enregistrés. D'autres mesures sont prévues pour la rentrée en septembre, parmi lesquelles le renforcement du corps enseignant et une formation aux méthodes pédagogiques.
* Prénom d'emprunt
Thibaut Clémence/iar