Face à la baisse du point Tarmed, les médecins genevois vont ralentir certaines prestations
RTSinfo: A quoi doivent s'attendre les patients la semaine prochaine?
Martine Bideau: La semaine prochaine, nos assistantes vont être un petit peu plus restreintes dans les réponses téléphoniques. Evidemment, quand il s'agira d'urgences, on va y répondre. Mais si c'est pour des conseils téléphoniques par exemple, conseils auxquels on aurait répondu gratuitement auparavant, il est possible qu'on leur demande soit de prendre rendez-vous, ou alors qu'on les dirige vers un centre d'urgence si on estime que ça ne peut pas attendre plus que quelques jours.
Le nœud du problème est ce point Tarmed qui définit vos rémunérations en fonction des actes pratiqués. Ce point baisse, donc vos rémunérations baissent?
C'est ça. Quand on reçoit un patient, on fait une anamnèse pendant cinq ou dix minutes, c'est-à-dire qu'on pose des questions qui nous permettent de faire notre raisonnement pour arriver à une hypothèse diagnostique. Avant la baisse du point Tarmed, ces cinq minutes étaient rémunérées 17 francs. Maintenant, avec cette baisse, c'est 16 francs. Et il faut savoir que cette rémunération est resté à 17 francs depuis 2008 sans jamais augmenter, contrairement, par exemple, au salaire de nos patients! Jusqu'ici, on ne s'est pas plaint, mais maintenant qu'on nous baisse le tarif à 16 francs, je ne vois pas qui accepterait de continuer à travailler dans les mêmes conditions.
C'est un conflit entre assureurs et médecins. Est-ce légitime de prendre les patients en otage?
Je n'ai pas l'impression que c'est nous qui prenons les patients en otage. Les primes d'assurance ont augmenté cette année encore, alors que de l'autre côté, on va moins rémunérer les médecins. Donc qui prend en otage les patients et les médecins, à votre avis?
Mais les patients ne sont pas responsables de l’abaissement du point Tarmed.
Non, ils ne sont pas responsables, mais il faut savoir qu'on est des petites entreprises et qu'on a un loyer à payer. On a des assistantes et des charges à payer. Il y a un moment où on n'arrivera plus à pouvoir assurer toutes ces charges avec ce que nous donnent actuellement les assurances. On va devoir peut-être diminuer le nombre d'heures payées à nos assistantes et, du coup, ne plus pouvoir répondre au téléphone comme on le faisait avant.
Mais c'est le patient qui va trinquer. Pourquoi s'attaquer à la qualité des soins alors qu'il y a peut-être d'autres moyens, politiques ou judiciaires par exemple, pour faire entendre votre avis?
Politique et judiciaire, c'est moins mon rayon. Mais en me rémunérant moins, je ne vais pas pouvoir répondre aux critères de qualité que je souhaite offrir à mes patients [...] Si mes charges augmentent et que je n'arrive plus à les payer, je ne pourrai plus avoir un local tel que je l'ai, une assistante médicale telle que je l'ai. La qualité des soins va se répercuter sur les patients.
Qu'est-ce que vous répondez à celles et ceux qui disent que les médecins sont déjà suffisamment bien rémunérés et qu'il s'agit d'un problème de riches?
Non, ce n'est pas un problème de riches. Les médecins sont des petites entreprises qui survivent comme toutes les autres petites entreprises. On est soumis au coût de la vie et à l'inflation. Si on ne peut pas augmenter notre chiffre d'affaires, on ne peut plus répondre aux attentes de nos patients.
Est-ce que vous imaginez que ce coup de poing de la part des médecins va vraiment changer la donne vis-à-vis de ce point Tarmed abaissé provisoirement?
On l'espère! C'est justement le côté provisoire qui nous intéresse dans cette histoire. On espère que, en faisant pression maintenant, le Tribunal administratif fédéral décide que le point Tarmed n'est pas abaissé tel que le souhaitent les assurances mais reste à 0.96 franc.
Ça veut dire que si ça ne marche pas, la prochaine étape pourrait être une grève des soins?
Non. La prochaine étape est simplement de réduire la voilure, comme toute petite entreprise qui commence à avoir des soucis de rentrées d'argent [le ferait]. On restera donc probablement avec ces mesures-là jusqu'à ce que notre profession soit revalorisée. Ce qu'on espère, c'est revenir à la situation dans laquelle on était auparavant. On a beaucoup d'espoir dans le Tardoc, pour qu'il nous revalorise jusqu'à ce qu'on estime être notre juste valeur, s'approchant du salaire des spécialistes.
Le Tardoc devrait entrer en vigueur en 2026. Vous ne pouviez pas attendre jusque là?
Non, là, actuellement, avec le point Tarmed à 0.91, avec le coût de la vie à Genève, non, on a décidé qu'on ne pouvait pas. Raison pour laquelle on fait toutes ces actions.
Propos recueillis par Coraline Pauchard et Valentin Emery