La prison et lui, c'est une véritable histoire d'amour. Hakim Mokhtar est très vite tombé dans le domaine il y a dix ans. Après avoir été administrateur de l'établissement de la Brenaz à Genève, il a pris l'an dernier, à même pas 40 ans, la tête de Champ-Dollon, le plus grand établissement pénitencier de Suisse.
Aujourd'hui, ma volonté est d'apporter un peu de sérénité au niveau du personnel. Ce qui aura aussi des effets sur le climat carcéral
Ce qui l'a amené vers les prisons, c'est d'abord un intérêt pour ce domaine, comme il l'explique mercredi au micro de La Matinale. "Mais également et surtout mon intérêt pour l'humain."
"Apporter de la sérénité"
Une réforme organisationnelle contestée par le personnel, une surpopulation carcérale devenue presque la norme: Hakim Mokhtar n'a pas choisi la facilité en devenant directeur de Champ-Dollon, et il en est conscient. "Mais aujourd'hui, ma volonté est d'apporter un peu de sérénité au niveau du personnel. Ce qui aura aussi des effets sur le climat carcéral", souligne-t-il.
La nouvelle loi sur la politique pénitentiaire ainsi que la stratégie et le plan des infrastructures qui y sont liés lui permettent d'envisager l'avenir avec un certain optimisme, promettant de nombreuses améliorations dans les prisons du canton. Une bonne nouvelle non seulement pour les détenus, mais également pour le personnel pénitentiaire.
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Dans un avenir plus ou moins proche, la prison de Champ-Dollon, vétuste, sera détruite et une nouvelle prison pour hommes pour la détention avant jugement de 300 places dans des cellules individuelles, sera construite. Destinée à l'exécution de peine des hommes, la prison de La Brenaz (168 places) sera elle agrandie de 352 nouvelles places.
Pour ce qui est des femmes, 30 places avant jugement et 55 places d'exécution de peine, avec des ateliers, sont prévues. Un bâtiment de quinze places verra le jour près de Curabilis pour les adultes de moins de 25 ans condamnés à une mesure thérapeutique. L'établissement de détention administrative de Favra fermera, tandis que le nombre de places à Frambois doublera.
Musique d'avenir
Tout cela reste toutefois encore de la musique d'avenir, comme le souligne Hakim Mokhtar. "C'est difficile d'articuler une date exacte, parce que ce sont des projets qui se développent sur plusieurs législatures politiques. Mais le souhait, c'est l'horizon 2035."
Aujourd'hui, pour 348 places officielles exactement, il y a entre 500 et 550 personnes détenues. Ça représente toujours une surpopulation à gérer, mais c'est autre chose que ce qu'il y a pu y avoir à l'époque
En attendant, il faudra encore faire avec les infrastructures existantes surchargées. Une situation contre laquelle l'homme de 38 ans dit ne pouvoir rien faire, la marge de manoeuvre étant très limitée à son niveau: "c'est une question de politique judiciaire".
Quoi qu'il en soit, il souligne que la solution s'est nettement améliorée depuis dix ans. En août 2014, près de 900 personnes étaient en effet détenues à Champ-Dollon. Soit plus du double de ce qu'il est théoriquement admissible d'accueillir dans cette prison, explique-t-il. "Aujourd'hui, pour 348 places officielles exactement, il y a entre 500 et 550 personnes détenues. Cela représente toujours une surpopulation à gérer, mais c'est autre chose que ce qu'il y a pu y avoir à l'époque."
Explication multifactorielle
Selon lui, cette surpopulation s'explique par plusieurs facteurs. "Si on regarde la population de détenus à Champ-Dollon, on voit qu'il s'agit beaucoup de personnes en exécution de peines, alors que Champ-Dollon n'est pas un établissement d'exécution de peines", déplore-t-il, regrettant le refus en 2020 par le Grand Conseil genevois du projet de prison des Dardelles. "Elle était prévue pour des exécutions de peines, ce qui aurait pu absorber un peu cette surpopulation carcérale."
Les tensions s'exacerbent quand on est dans un climat de surpopulation. Mais aujourd'hui, je pense que le personnel sait le gérer et le fait plutôt bien au quotidien
Sans compter que malgré cette situation, Champ-Dollon continue de jouer le jeu de la solidarité intercantonale, en accueillant des prisonniers d'autres cantons, souligne-t-il.
Cependant, insiste-t-il, les personnes détenues ont toujours assez de place pour vivre correctement. "Après, si on voulait faire plus, c'est-à-dire développer certaines activités ou améliorer les conditions de détention, il faudrait pouvoir respecter le nombre de places prévu pour cette prison." Avant d'ajouter: "mais on respecte les cadres légaux et des améliorations sont régulièrement apportées", que ce soit en termes d'activités proposées ou d'infrastructures rénovées ou agrandies.
Une surpopulation carcérale qui continuera, pour l'heure, d'avoir un impact sur le personnel, reconnaît-il. "C'est plus compliqué à gérer, c'est plus de mouvements à l'interne, c'est plus de tensions aussi, parce que les tensions s'exacerbent quand on est dans un climat de surpopulation. Mais aujourd'hui, je pense que le personnel sait le gérer et le fait plutôt bien au quotidien", conclut-il.
Propos recueillis par Pietro Bugnon
Adaptation web. Fabien Grenon