"Il m’a touché les seins et mis sa langue dans ma bouche", témoigne une victime suisse de l'abbé Pierre
Esther fait partie des 24 femmes qui ont contacté Egaé, le dispositif d'écoute mise en place par Emmaüs International, Emmaüs France et la Fondation Abbé Pierre concernant des comportements pouvant s'apparenter à des agressions sexuelles ou des faits de harcèlement sexuel commis par l'abbé Pierre.
Il s'est mis à côté de moi (...) s'est pressé contre mon corps, puis j'ai senti qu'il avait une érection
L'émission de la RTS Mise au point a retrouvé la trace de cette femme qui a la double nationalité suisse et péruvienne à Lima, au Pérou, où elle est retournée vivre. Elle a accepté de revenir sur cet événement.
Pendant une interview à Genève
En octobre 1988, Esther se rend à l'hôtel Terminus, à quelques mètres de la gare de Genève. Elle est alors interprète et réalise aussi quelques mandats de journalisme. On lui a proposé de réaliser une interview exclusive de l'abbé Pierre pour la revue Choisir.
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Une fois dans la chambre de l'abbé Pierre, elle commence par prendre quelques photos. Mais après une discussion informelle, et avant que l'interview ne débute, l'homme s'approche soudainement de sa chaise. "Il s'est mis à côté de moi, debout, il s'est pressé contre mon corps, raconte-t-elle. Et puis j'ai senti qu'il avait une érection."
Esther se retrouve en état de choc. "Il m'a ensuite mis les mains au-dessus du pull et il m'a touché les seins", poursuit-elle. "Et puis il m'a mis sa langue dans ma bouche. Après quelques minutes, l'abbé Pierre m'a demandé: 'Alors, est-ce que c'était aussi bien pour vous, ma petite?' ou 'ma fille?'. À ce moment-là, j'ai réagi et je suis partie en courant."
C'était un malade mental que l'Eglise catholique a laissé voyager et faire des choses horribles
Sauf que la journaliste se rend compte qu'elle n'a pas de quoi écrire l'interview qu'elle doit rendre. Par peur de fâcher son client, elle décide de retourner voir l'abbé Pierre le lendemain. "Cette fois-ci, j'ai décidé de garder mon manteau sur moi et de rester à distance près de la porte", se souvient-elle. "Une fois l'interview terminée, il a tout de même réussi à s'approcher et à me toucher une nouvelle fois les seins par-dessus mes vêtements."
Peu connu au Pérou
Esther avait livré une première version de ce témoignage en 2007 à Caretas, une revue péruvienne. Elle avait attendu la mort de l'abbé Pierre avant de parler. Mais l'affaire n'a pas fait grand bruit.
"Le Pérou est un pays pauvre, encore sous-développé", explique-t-elle. "Les gens ne s'intéressent pas à ces histoires et il y a encore beaucoup de non-dits en ce qui concerne les abus sexuels dans l'Eglise. Et puis l'abbé Pierre n'est pas très connu ici."
Une communauté Emmaüs existe néanmoins à Lima depuis 1959. Et, selon Esther, l'abbé Pierre aurait agressé des femmes dans ce pays au cours de ses visites.
>> Pour aller plus loin sur les agressions sexuelles de l'abbé Pierre, lire : L'abbé Pierre menaçait ceux qui dénonçaient ses agressions sexuelles, révèlent des archives inédites
Dénoncer le silence de l'Eglise
Si Esther a décidé de parler, c'est pour dénoncer le silence de l'Eglise. "Il faut que ça se sache, parce que c'est impardonnable maintenant que je connais les autres histoires concernant des agressions de l'abbé Pierre", déclare-t-elle. "Mais le pire, à mon avis, c'est que l'Eglise catholique a caché cela pendant 70 ans. Je trouve cela impardonnable, surtout quand on sait qu'il n'y avait pas que des femmes comme moi à l'époque, cinquantenaire, mais aussi de très jeunes filles."
Et d'ajouter: "C'était un malade mental que l'Eglise catholique a laissé voyager et faire des choses horribles un peu partout dans le monde."
Loïc Delacour
La commission d'experts indépendants prend forme
La commission d'experts indépendants chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant permis à l'Abbé Pierre, accusé de violences sexuelles, de "ne pas être inquiété", s'est dotée mercredi d'une présidente et débutera ses travaux début 2025 pour une durée de deux ans.
La sociologue Céline Béraud, directrice d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), sera chargée de présider les travaux de cette instance annoncée en septembre après une série d'accusations de violences sexuelles visant le prêtre décédé en 2007, indiquent Emmaüs France et Emmaüs International dans un communiqué.
L'objectif de cette commission "sera de mettre au jour et d'analyser les mécanismes qui ont permis à l'abbé Pierre de ne pas être inquiété publiquement pendant plus de 70 ans", ajoutent les deux organisations.
Ce "travail de vérité" est salué par la Conférence des évêques de France (CEF), qui a réaffirmé mercredi sur X "la disponibilité de l'Église catholique en France pour contribuer à faire toute la lumière sur ces agissements".
La commission disposera "d'un accès complet aux archives" de l'Abbé Pierre et d'Emmaüs International, et pourra organiser "l'audition des personnes de son choix, témoins, expertes, proches ou membres de la famille de l'Abbé Pierre", peut-on encore lire.