Passé de 1,39 en 2021 à 1,23 en 2023, le nombre d'enfants par femme est lui aussi en net recul. Pour Mathias Lerch, il s'agit d'une "tendance récente qui s'inscrit dans le long terme. On a plusieurs facteurs structurels qui changent la donne."
On retarde les naissances, souvent vers l'âge de 30 ou 35 ans. Et là, souvent, la capacité physiologique pour une femme commence à diminuer
Formation plus longue et travail des femmes
Le chercheur pointe du doigt le temps passé en formation qui s'allonge de plus en plus chez les jeunes. "Il faut ensuite capitaliser cette formation sur le marché du travail, donc on retarde les naissances, souvent vers l'âge de 30 ou 35 ans", note-t-il. "Et là, souvent, la capacité physiologique pour une femme commence à diminuer."
La hausse du taux d'activité chez les femmes est une autre explication. "De plus en plus de femmes connaissent des problèmes à concilier vie familiale et vie professionnelle", souligne-t-il.
Liberté et crise climatique
Cependant, les problèmes d'ordre professionnel n'expliquent pas tout, poursuit Mathias Lerch, qui donne l'exemple des pays du nord de l'Europe. Ces derniers ont beau avoir pris des mesures pour améliorer la conciliation entre vie familiale et carrière professionnelle, ils ont aussi un taux de fécondité bas.
Ça n'est pas seulement une crise des naissances. Il y a un changement de style de vie, un changement de valeurs! On veut être indépendant, libre...
Il cite une étude effectuée en Finlande et qui s'intéresse aux jeunes de 25 à 35 ans qui n'ont pas d'enfants. "La première raison évoquée est le fait qu'ils n'ont pas encore de partenaire. [...] La deuxième est qu'ils veulent maintenir leur train de vie [...] et la troisième est la crise climatique: ils ne veulent pas augmenter la charge humaine sur la planète", énumère le chercheur.
Il constate que les deux premières raisons sont en lien avec la volonté de conserver de la liberté. "Ça n'est donc pas seulement une crise des naissances. Il y a un changement de style de vie, un changement dans la sociabilisation en couple... Un changement de valeurs! On veut être indépendant, on veut être libre", analyse Mathias Lerch.
Les étrangers font moins d'enfants qu'avant
A ses yeux, on ne peut toutefois pas parler aujourd'hui de crise de la fécondité. "C'est une évolution qui a commencé dans les années 1990 et avant", précise-t-il.
Ses recherches montrent que le taux de fécondité dans les années 1990 était "soutenu par une fécondité des étrangers relativement élevée par rapport à celle des Suisses". Or, aujourd'hui, les étrangers vivant en Suisse (notamment ceux venus d'Allemagne, d'Italie ou d'Espagne, cite-t-il) font moins d'enfants que les Helvètes, et la fécondité en Suisse baisse. "On n'a plus cet apport migratoire qui fait augmenter la fécondité", résume-t-il.
Fertilité des femmes et des hommes en baisse?
"La fertilité des femmes joue aussi certainement un rôle, car les couples repoussent les naissances à des âges plus élevés", ajoute Mathias Lerch. Or, elle diminue "très rapidement" à partir de 36 ans, indique-t-il, ce qui explique "la hausse de la fécondité médicalement assistée".
>> A ce propos, lire : Le lucratif marché de l’infertilité et de la PMA
Le directeur du Laboratoire de démographie urbaine à l'EPFL signale encore une étude qui montrerait que cette baisse de la fécondité est aussi due à la "baisse très importante de la fertilité des hommes". Mais il reste prudent, car ce fait n'est pas encore avéré dans la communauté scientifique, dit-il.
Enfin, Mathias Lerch assure que "l'Etat a un rôle à jouer" pour augmenter le taux de fécondité. A l'image des "pays du Sud, dans lesquels il aide les couples à ne pas avoir trop d'enfants", il pourrait ici, au contraire, "aider les couples à réaliser leur souhait de fécondité" en adoptant diverses mesures.
Propos recueillis par Anne Fournier
Article web: Julie Marty