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Le canton de Genève vote pour baisser la rémunération minimum dans les crèches privées

La crèche de Montbrillant à Genève. [Keystone - Salvatore Di Nolf]
Quelle est la juste rémunération pour les employés de crèches? / La Matinale / 4 min. / le 23 mai 2024

Les crèches privées pourront-elles embaucher une partie de leur personnel au salaire minimum? La population genevoise est appelée à répondre à cette question le 9 juin. En payant moins, les crèches privées espèrent ainsi créer des places dans un contexte tendu.

Depuis 2020, les institutions de la petite enfance sont tenues de respecter soit une convention collective de travail, soit de s'aligner sur les conditions de la Ville de Genève, toutes deux plus généreuses. La droite veut changer cette donne et permettre aux crèches privées d'engager pour 24 francs de l'heure, soit le salaire minimum. Indignées, la gauche et les syndicats ont lancé un référendum.

Actuellement, le système de garde de la petite enfance du canton de Genève est une mosaïque explosive. On y trouve des crèches publiques, des crèches subventionnées et des crèches totalement privées. Ces dernières représentent environ 700 places.

Cela s'inscrit dans un contexte de pénurie. Environ 3200 enfants n'ont pas de solutions de garde collective. Les éducatrices et les éducateurs manquent aussi: selon les projections, d’ici 2029, il faudra environ 2500 professionnels en plus. Pour les parents, cette situation engendre des temps d'attente longs et un prix qui peut passer du simple au double et frôler les 4000 francs par mois pour un enfant accueilli à 100% dans le privé.

Crainte de la faillite

Cette votation est scrutée avec attention, notamment par les acteurs du milieu. Magali Chaffard est la patronne de la crèche Lolilola, au Grand Saconnex, une des quelque 30 crèches 100% privées du canton. Elle explique dans La Matinale que sans subvention, s'aligner sur le public et payer des salaires plus élevés mènerait son établissement à la faillite.

"Nous avons fermé deux crèches avec 40 places et licencié 20 personnes en l'espace de deux ans pour répondre aux normes de Genève. On a vu notre masse salariale augmenter de 30%, avec un treizième salaire et des conditions dans lesquelles on peut difficilement le respecter."

Elle poursuit: "Nous essayons de continuer tant bien que mal par respect pour les parents et les enfants accueillis et les employés. Mais si la votation débouche sur un non, on devra immanquablement fermer. Nous sommes les seuls à respecter toutes les normes, et ce n'est pas tenable."

On a des conditions qui sont très agréables au quotidien. Ca ne me dérange pas de faire une croix sur une partie du salaire

Célia, employée de la crèche Lolilola au Grand Saconnex

Selon Magali Chaffard, une baisse de salaire n'induirait pas forcément une baisse d'attractivité de sa crèche. Et ce, malgré la pénurie de personnel qui frappe le canton. Son employée depuis cinq ans, Célia, confirme.

"Ce que j'aime, c'est le côté familial, où on me prend en considération complètement dans toute l'institution. On a une équipe soudée, donc il y a un taux d'absentéisme qui est très bas. Et on a des conditions qui sont très agréables au quotidien. Ca ne me dérange pas de faire une croix sur une partie du salaire, en sachant qu'avant la CCT, il n'était pas hyper bas non plus."

>> Le débat de Forum entre Diane Barbier-Mueller, députée au Grand Conseil genevois (PLR), et Christina Kitsos, conseillère administrative en Ville de Genève chargée de la cohésion sociale (PS) :

Quel est le juste salaire pour les personnes travaillant en crèche? Débat entre Diane Barbier-Mueller et Christina Kitsos
Quel est le juste salaire pour les personnes travaillant en crèche? Débat entre Diane Barbier-Mueller et Christina Kitsos / Forum / 9 min. / le 24 mai 2024

"Un projet rétrograde"

Du côté de la crèche publique des Ouches, à Châtelaine, Matteo, assistant socio-éducatif depuis trois ans, prend lui aussi son travail très à coeur. Mais il explique que son salaire n'est pas non plus la panacée. "Sur mon compte, il y a environ 4000 francs qui arrivent par mois pour un 100%. Je ne vais pas m'en plaindre, je peux en vivre, mais je ne peux pas partir en vacances chaque année.

Pour sa collègue éducatrice Maiya Barela-McGhie, cette votation est un signe de manque de reconnaissance du métier. ''On peut dire que c'est presque un camouflet. On a le sentiment de revenir en arrière, ça paraît très rétrograde, dans le sens que la petite enfance a lutté pour obtenir une reconnaissance, une revalorisation."

On a le sentiment de faire un pas en avant et deux en arrière, de devoir tout le temps se justifier, alors que c'est vraiment quelque chose du domaine de la société

Maiya Barela-McGhie, éducatrice à la crèche publique des Ouches, à Châtelaine

"Au niveau des connaissances du développement de l'enfant, de la psychologie de l'enfant, on sait à quel point c'est un être particulier, on sait qu'il a besoin d'une prise en charge collective spécialisée. On a le sentiment de faire un pas en avant et deux en arrière, de devoir tout le temps se justifier, alors que c'est vraiment quelque chose du domaine de la société."

A Genève, la situation est complexe et les disparités nombreuses. La votation du 9 juin ne devrait pas être la dernière sur le sujet. Tous les partis ont des projets pour régler l'épineuse question de l'accueil pré-scolaire au bout du Léman.

>> Voir aussi le sujet du 19h30 :

Votation du 9 juin: en détresse, les crèches privées disent ne plus pouvoir suivre les usages salariaux du secteur public
Votation du 9 juin: en détresse, les crèches privées disent ne plus pouvoir suivre les usages salariaux du secteur public / 19h30 / 2 min. / le 23 mai 2024

Mohamed Musadak/asch

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