"C'est absurde tous ces transports par camion", commente Jacques Martelain, géologue cantonal genevois, jeudi dans l'émission de la RTS Temps présent. Cette situation découle du fait qu'aucun des quatorze sites prévus pour déposer ces terres non polluées n'a pu être ouvert malgré leur mention dans le plan directeur des décharges depuis 2011.
"Les obstacles? Globalement la population n'en veut pas. Quand vous interrogez les gens, ils s'accordent sur le fait qu'il faut gérer les déchets, mais ils n'en veulent pas ni sur leur territoire, ni devant leur fenêtre", indique Jacques Martelain.
Résitance citoyenne
Genève est un canton très dense en termes d'habitation, et une forte résistance citoyenne s'est progressivement organisée. Cette opposition s'est récemment concrétisée dans une initiative législative cantonale, dite "des 300 mètres", qui pourrait être soumise au vote l'année prochaine.
Ce texte propose que toute nouvelle gravière ou décharge soit située à au moins 300 mètres des habitations les plus proches pour protéger la santé des résidents des poussières et du bruit générés par le va-et-vient des camions de chantier.
Le problème ne se limite pas au manque criant de sites d'accueil sur le canton de Genève. En exportant vers la France voisine les terres non polluées des chantiers, le marché du transport et des gravières s'est lentement déplacé vers les entreprises françaises, qui proposent des tarifs plus compétitifs grâce à des salaires moins élevés.
Dépendance à l'étranger
Et, souvent, le gravier est aussi importé de France par camion, alors que la Suisse dispose de ses propres ressources.
Cela pose un risque de dépendance vis-à-vis de l'étranger.
Massimo Gorgoni, directeur de la gravière Bardograves à Genève et président du Groupement des entreprises genevoises du gravier et du béton, alerte: "Si un jour la France arrêtait de nous livrer, que fera-t-on? On n'aura plus de gravier et pas de plan B. Si on n'a pas de gravier, si on n'a pas de sable, on ne construit pas de maison, on ne construit pas de pont, on n'a pas d'infrastructures routières, c'est un besoin indispensable pour notre société, c'est un fondement de notre civilisation." Il appelle ainsi à prendre des mesures pour privilégier le travail local et réduire cette dépendance.
On a encore droit aux petits chantiers, parce qu'on nous laisse un peu les miettes mais les gros chantiers, c'est presque inutile d'y penser à l'heure actuelle
La solution n'est pas simple. En effet, pour tout projet de construction dépassant les 10 millions de francs suisses, un appel d'offres public international est requis, empêchant ainsi de favoriser les entreprises locales.
Johann Le Coultre, directeur de l'entreprise Maury Transports à Genève, exprime sa frustration face à cette situation: "On a encore droit aux petits chantiers, parce qu'on nous laisse un peu les miettes mais les gros chantiers, c'est presque inutile d'y penser à l'heure actuelle." Il souligne que sans une prise de conscience rapide, le futur des entreprises locales du secteur du gros œuvre est sérieusement menacé.
Isabelle Ducret
Entreprises de France voisine également affectées
L'exportation massive de matériaux d'excavation suisses vers la France voisine exerce aussi une pression sur les petites entreprises locales françaises. Celles-ci peinent désormais à trouver des sites pour déverser leurs propres matériaux d'excavation, ou alors elles ne peuvent le faire qu'à des coûts fortement majorés par la concurrence engendrée par la demande suisse.
Face à cette situation, la seule alternative viable pour ces entreprises est de parcourir de plus longues distances pour localiser des lieux d'évacuation disponibles. Une étude a mis en lumière que, chaque année, les camions français sont contraints de parcourir environ 15 millions de kilomètres pour déposer les terres non polluées issues des chantiers de Haute-Savoie uniquement.