Un professeur de la HEAD est dénoncé pour des relations inappropriées avec des élèves
C'est sur les réseaux sociaux que l'alerte a été lancée il y a une semaine. Une étudiante, Manon (prénom d'emprunt), dénonce le comportement de Stéphane*, l'un de ses anciens professeurs à la Haute école d'art et de design (HEAD) de Genève. Mais son cas est prescrit. Les faits remontent à dix ans en arrière.
Tout commence en 2014. Manon termine sa première année de Bachelor. Lors de la fête de fin d'année, l'alcool coule à flot. Stéphane l'invite dans son bureau et l'embrasse. Elle a 20 ans. Lui, plus du double. Pendant les trois mois qui suivent, l'enseignant va lui écrire presque chaque jour sur sa boîte mail privée. Manon lui exprime à plusieurs reprises son malaise et son souhait que les échanges cessent. À la rentrée de septembre, Manon retrouve Stéphane en cours, mais il ne se passera plus rien.
"Je ne devrais pas te dire ça, mais tu vas me manquer"
Manon n'est pas la seule dans son cas. En 2020, une autre étudiante, Audrey (prénom d'emprunt), se retrouve elle aussi dans une situation compliquée avec le même enseignant. "Ça a commencé par un SMS qui disait, après la fin de la première année, 'Je ne devrais pas te dire ça, mais tu vas me manquer'. Il m'a fait comprendre qu'il avait une attirance pour moi. Lui me fascinait en tant qu'artiste, j'étais venue à la HEAD pour suivre les cours qu'il donnait."
J'aime voir tes stories au réveil, je pense très fort à toi, j'ai hâte de te voir
Le professeur va entamer une relation avec Audrey pendant plusieurs mois. Quand l'étudiante décide d'y mettre fin, le comportement de Stéphane change du tout au tout. "Il est devenu de plus en plus agressif. Il a annulé tous nos rendez-vous scolaires. Il m'a dit une fois à l'école "casse-toi, je ne veux plus te voir". Ça a été hyper violent. Je me suis sentie très seule."
Plus récemment, en 2022, Ophélie (prénom d'emprunt), alors en Erasmus, a eu Stéphane comme professeur. Il a alors rapidement commencé à lui écrire sur les réseaux. Au bout du sixième message, il lui a dit: "J'aime voir tes stories au réveil, je pense très fort à toi, j'ai hâte de te voir. Ps: voici mon numéro. C'est peut-être plus simple de t'envoyer des messages par Whatsapp, comme tu veux." Ophélie lui répond que le message est déplacé. Stéphane lui présente ses excuses.
Entretien de service
Ces différentes histoires n'ont pas fait l'objet de plaintes. La HEAD n'a pas non plus eu connaissance de ces cas jusqu'à la dénonciation de la première étudiante, au printemps dernier. Après plusieurs mois de procédure, Stéphane a été convoqué à un entretien de service, le 3 juillet dernier. Mais les faits sont prescrits.
En effet, le règlement interne de la HES-SO Genève, l'organisme qui chapeaute la HEAD, se calque sur la Loi générale relative au personnel de l'administration cantonale genevoise, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux (LPAC). Dans le cas d'une procédure pour sanctions disciplinaires, le délai de prescription est de "un an après la découverte de la violation des devoirs de service et en tout cas par 5 ans après la dernière violation".
Reste que, selon les informations de la RTS, le cas de Stéphane reste en suspens. La direction de la HES-SO se laisse la possibilité d'ouvrir de plus vastes investigations. "Il y aura des suites à cette situation", assure la directrice générale, Daniela Di Mare Appéré. Contacté à plusieurs reprises et par différents moyens par la RTS, Stéphane n'a pas donné suite à ces sollicitations.
Pas un cas isolé
La publication de Manon sur les réseaux sociaux a créé une onde de choc au sein de la haute école. Depuis une semaine, les témoignages se multiplient envers Stéphane, mais aussi envers d'autres enseignants de la HEAD. La RTS a pu récolter au moins quatre témoignages visant deux professeurs différents.
C'est un point sur lequel nous allons peut-être plus particulièrement revenir ces prochaines semaines pour voir s'il conviendrait d'être plus précis dans les textes
Ces témoignages interrogent. Pour la Haute école d'art et design qui appartient aux Hautes Ecoles Spécialisées de Genève, une charte partagée avec l'Université de Genève interdit le harcèlement sexuel, mais aucun texte ne proscrit les relations entre les professeurs et leurs étudiants. La direction envisage désormais de préciser son règlement.
"C'est un point sur lequel nous allons peut-être plus particulièrement revenir ces prochaines semaines pour voir s'il conviendrait d'être plus précis dans les textes", affirme Daniela Di Mare Appéré. Dans l'intervalle, la directrice générale indique avoir mis en place un dispositif complet qui permet aux personnes, victimes ou témoins d'abus, de s'adresser à une permanence confidentielle d'écoute et de soutien.
Camille Lanci
Collaboration : Raphaël Leroy
*Nom connu de la rédaction