SOS Médecins vit une crise inédite depuis le printemps dernier et l'arrivée d'un nouvel administrateur à sa tête. De nombreux témoignages et documents recueillis par le Pôle enquête de la RTS décrivent une situation préoccupante mettant en danger le devenir même de ce représentant historique de la médecine à domicile, fondée à Genève en 1987.
J'ai un peu l'impression que le bateau prend l'eau de toutes parts (...) et je ne sais franchement pas combien de temps cela va encore pouvoir durer
"Licenciés comme des malpropres"
"J'ai un peu l'impression que le bateau prend l'eau de toutes parts, qu'il y a vraiment le feu à la maison et je ne sais franchement pas combien de temps cela va encore pouvoir durer." Ces mots alarmants sont ceux de Me Imad Fattal. L'avocat genevois a été mandaté par cinq employés de longue date de SOS Médecins, qui ont été licenciés par leur employeur.
"Ils sont venus me voir pour me dire: 'écoutez, on est désemparés, on a été licenciés comme des malpropres après toutes ces années de bons et loyaux services'", explique Me Imad Fattal. Ses clients se plaignent également de ne plus être payés.
Autres personnes remerciées
Ces cas ne sont pas isolés. D'autres employés ont été remerciés, dont des cadres. Du moins, c'est ce qu'ils ont compris, car bien souvent les licenciements ont été ordonnés oralement. Parmi les personnes renvoyées: le médecin responsable de SOS Médecins, mais aussi le responsable informatique de l'entreprise. D'autres salariés sont en arrêt-maladie ou sont partis en vacances, excédés par la situation. Plusieurs docteurs avancent ne plus vouloir renouveler leur contrat à l'échéance de celui-ci, fin septembre.
Propriété de SOS Médecins, le centre de santé Médicentre Balexert n'est pas épargné. Selon les renseignements récoltés par la RTS, quatre assistantes médicales ont été licenciées. "Pas de salaire à la fin du mois, pas de lettre de licenciement, rien. Elles l'apprennent comme ça, lorsqu'elles s'aperçoivent qu'elles n'ont pas reçu de salaire pour le mois travaillé", témoigne un employé.
"Tout a été fait dans les règles"
Contacté par la RTS, l'administrateur indique, par la voix de son avocat Me Christian Lüscher, que "trois personnes ont été licenciées en respectant le délai prévu par la loi et le contrat, et deux pour justes motifs. Les licenciements ont été communiqués dans les formes prévues par la loi et tout a été fait dans les règles. Bien évidemment, les attestations pour le chômage ont été ou seront délivrées."
Les salaires sont payés à temps, sauf peut-être un mois où il y a eu un retard de 24 heures
Quant au non-paiement des salaires, tout est contesté. "Les salaires sont payés à temps, sauf peut-être un mois où il y a eu un retard de 24 heures", assure Me Christian Lüscher.
Plaintes pénales
Trois docteurs de Médicentre, une institution qui loue des cabinets médicaux à des médecins indépendants, ont carrément porté plainte cet été pour abus de confiance et gestion déloyale. Ils reprochent au nouvel administrateur de ne pas leur avoir versé leurs honoraires. Ils ont demandé le séquestre des comptes de la société.
Je crains (...) que (le nouvel administrateur, ndlr) ne quitte la Suisse pour son pays d'origine, laissant la société avec ses dettes et nos yeux pour pleurer
"Les informations concernant la gestion et la situation financière de la société récemment reprise par (l'administrateur) sont alarmantes", écrit l'un d'eux au Parquet genevois. "Je crains fort qu'il se soit servi de mes honoraires encaissés, et ceux de mes confrères, pour faire d'autres paiements que les versements qui me sont dus. Je crains également qu'il ne quitte la Suisse pour son pays d'origine, laissant la société avec ses dettes et nos yeux pour pleurer."
"Mon client n'a commis aucune infraction pénale et ne connaît aucune démarche effectuée contre lui auprès du Ministère public", réagit Me Christian Lüscher.
Dettes et poursuites
Selon les chiffres de ce mercredi de l’Office cantonal des poursuites, que la RTS a pu consulter, SOS Médecins accusent près de 700 000 francs de poursuites sur une dette d’environ 2,5 millions de francs. Elles émanent à la fois d’une assurance maladie et du fisc genevois, mais aussi, et c’est plus récent, de la caisse de pension des professions médicales. La quasi-totalité de ces poursuites font l’objet d’une opposition de la société.
Plusieurs employés de SOS Médecins ont pu constater que certaines factures n'étaient plus payées et que des courriers de sommation n'étaient plus relevés. "Les factures sont réglées par la trésorerie, dont la gestion se fait dans un contexte d'assainissement de la société et de la réorganisation d'une administration trouvée en totale déliquescence", rappelle Me Christian Lüscher. "Les 2'500'000 francs de dettes du passé font l'objet d'un assainissement organisé avec les créanciers lors d'accords de remboursement déjà conclus ou à venir", précise l'avocat de l'administrateur.
Impact sur le terrain
Cette situation n'est pas sans conséquence sur le terrain. Cette semaine, il n'y a par exemple que cinq médecins planifiés, contre une quinzaine au printemps dernier, selon des documents qu'a pu consulter la RTS. Il devient dès lors difficile, voire impossible, de répondre aux dizaines de demandes qui arrivent à SOS Médecins chaque jour dans le canton de Genève. "Quand les gens appellent, si c'est trop éloigné, les régulateurs sont parfois obligés de leur dire qu'ils n'ont pas de médecin pour eux, ce qui n'était jamais arrivé avant", s'étrangle un docteur.
Les régulateurs sont parfois obligés de dire aux gens qui appellent qu'ils n'ont pas de médecin pour eux, ce qui n'était jamais arrivé avant
Certains créneaux horaires, comme les nuits ou certain week-end, ne sont plus couverts par SOS Médecins. "C'est la mise en danger des patients seniors ayant souscrit une téléalarme, car il n'y a plus de médecins pour intervenir", s'inquiète un employé. Actuellement, quelque 1300 patients, le plus souvent âgés ou en situation de handicap, sont munis d'un système d'alerte permettant une intervention médicale rapide à l'aide d'un appareil dédié ainsi qu'une veille téléphonique permanente. Il en coûte 30 francs par mois.
Cela est totalement faux; il y a plus de médecins aujourd'hui qu'au moment de la reprise de la société
Ces difficultés sur le terrain sont, là encore, vigoureusement contestées par l'administrateur de la société et son avocat. "Cela est totalement faux; il y a plus de médecins aujourd'hui qu'au moment de la reprise de la société. SOS Médecins parvient sans problème à remplir sa mission, y compris pour les patients avec téléalarme."
Données menacées?
Lors d'une séance avec le personnel fin juin, le nouvel administrateur a annoncé un partenariat avec deux centres médicaux dont il a la charge. Le but? Orienter les patients vers un accompagnement et d'autres prestations que SOS Médecins n'est pas en mesure de proposer. Dans ce contexte, il aurait demandé à avoir accès aux données médicales de l'entreprise. SOS Médecins dispose en effet de près de 500'000 dossiers patients, soumis au secret médical.
Ce procédé a suscité une vive levée de boucliers à l'interne. En effet, les professionnels de la santé ne peuvent transmettre des informations sur leurs patients à des tiers que si ces derniers les ont autorisés à le faire ou qu'une loi les oblige à renseigner l'autorité compétente, selon l'Office fédéral de la santé publique (OFSP). Qu'en est-il?
Informatique externalisée
Questionné sur le sujet, l'administrateur et son avocat nient toute atteinte au secret médical ou à la protection des données. "C'est totalement faux, s'offusque Me Christian Lüscher, étant relevé que mon client bénéficie d'un DAS en Management des Institutions de santé obtenu à l'Université de Genève, qui est le minimum requis pour gérer une société comme SOS Médecins. Pour le reste, la loi est totalement respectée."
Désormais, précise-t-il, le service informatique de l'entreprise "est externalisé auprès d'une société suisse ayant son siège à Genève, qui s'occupe de l'informatique de nombreuses cliniques en Suisse romande".
Sollicité par la RTS, l'Office cantonal de la santé dit évaluer "régulièrement et attentivement la qualité des interventions des services de consultation médicale à domicile comme SOS Médecins. L'office est garant du respect des règles en termes de qualité des soins pour l'ensemble des acteurs du système, dont SOS Médecins, en tant qu'institution de santé. La stratégie de gestion commerciale de l'entreprise n'entre par contre pas dans le champ de ses compétences."
Raphaël Leroy, pôle enquête RTS
SOS Médecins est une véritable institution à Genève
Créée il y a près de 40 ans par le docteur Pierre Froidevaux, elle a rapidement répondu à une demande de médecine à domicile dans la région. Au plus fort de son activité, elle recensait près de 50'000 consultations par année. Mais l'entrée en vigueur de la clause du besoin, en 2013, a mis un premier frein à ses activités.
Cette disposition ne permettait plus à des médecins indépendants formés à l'étranger de voir leurs prestations remboursées par l'assurance-maladie, sauf exceptions. Or, la majorité des praticiens de SOS Médecins viennent de l'étranger. Un bras de fer s'est alors engagé. Mais l'entreprise a perdu le combat.
Conséquence: ses effectifs ont drastiquement chuté au tournant des années 2020 et les caisses maladie ont demandé le remboursement des prestations effectuées pendant le bras de fer. En difficulté financière, Pierre Froidevaux a dû se résoudre à vendre sa société. C'est ainsi que le nouvel administrateur est arrivé en avril dernier. Déjà à la tête de deux centres médicaux de la place, il a formellement repris SOS Médecins le 12 juin 2024, date de son inscription au registre du commerce.
>> Pour aller plus loin sur la pénurie de médecins en Suisse, lire : La dépendance de la Suisse aux médecins étrangers est "loin de combler le manque" et La pénurie de médecins généralistes frappe-t-elle votre région? Notre carte