Les magistrats genevois pourraient bientôt ne plus être élus par le peuple
Faire élire le pouvoir judiciaire par le peuple présente des défis pratiques considérables. En effet, chaque électeur et électrice devrait recevoir une quarantaine de bulletins de vote pour élire non seulement les procureurs généraux, mais aussi les juges titulaires, les assesseurs et les suppléants pour différentes juridictions. Un matériel de vote bien trop volumineux à gérer, selon le Conseil d'Etat.
Celui-ci redoute des complications lors du dépouillement, des problèmes de livraison par La Poste, des délais de traitement et de problèmes de compréhension chez les électeurs.
En conséquence, le Conseil d'Etat estime que la Chancellerie, responsable de l'organisation des élections, ne pourrait pas garantir la bonne tenue des scrutins et le respect des droits politiques.
Une tradition d'élection tacite
Bien que cette proposition de réforme soit nouvelle, l'élection du pouvoir judiciaire à Genève n'a pas toujours suivi une procédure populaire systématique. Historiquement, l'élection des juges a souvent été tacite, à l'exception du procureur général et de quelques cas isolés.
Cependant, les autorités genevoises s'inquiètent d'un changement d'attitude chez la population. Une volonté croissante de s'exprimer directement à travers des élections populaires semble se dessiner, notamment après l'élection récemment disputée de la Cour des Comptes, qui a nécessité deux tours cette année.
Ce type d'élection, habituellement peu ouvert, a montré que les citoyennes et citoyens veulent désormais davantage de transparence et de participation.
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Politisation du système judiciaire
Cette tendance à vouloir plus de représentation démocratique pourrait s'expliquer par une politisation croissante à Genève. Les scandales qui ont récemment terni l'image des autorités genevoises ont accentué une défiance envers les institutions.
Les petits partis et les candidats indépendants réclament désormais davantage d'opportunités pour se présenter aux élections et influencer la nomination des magistrats.
Pour Stéphane Grodecki, avocat et enseignant de droit public à l'Université de Genève, cette volonté pourrait être bridée, avec une possible exclusion des partis minoritaires de la magistrature. "A Genève, ce système mis en place en 1904 avait justement pour but de permettre à la gauche, alors minoritaire, de placer des magistrats face à un parlement dominé par la droite", a-t-il rappelé vendredi dans l'émission de la RTS Forum.
L'avis des magistrats et des élus
Du côté des magistrats, la réforme semble plutôt bien accueillie, notamment parce que les juges de carrière, soit les fonctions centrales du pouvoir judiciaire, continueraient à être élus par le peuple.
Selon le député socialiste Diego Esteban, membre de la commission judiciaire du Grand Conseil, le parlement chercherait à trouver un compromis équilibré. Cependant, pour les petits partis, la réforme soulève des critiques. Ils dénoncent une hypocrisie qui contraint les candidats à rejoindre les grands partis pour avoir une chance d’être élus.
Si cette réforme est acceptée, Genève rejoindrait les autres cantons romands où ce sont les parlements qui élisent les membres du pouvoir judiciaire. Le Parlement genevois se prononcera bientôt sur cette proposition de révision de la Constitution. Si celle-ci est adoptée, elle sera soumise à l'approbation du peuple.
Charlotte Frossard/hkr