La justice genevoise enquête dans le monde très fermé des diamants. Une perquisition a eu lieu, mi-mars, dans les locaux de Malca-Amit, l’une des sociétés de stockage et de transports de pierres précieuses les plus réputées au monde installée aux Ports francs de Genève. Trois de ses administrateurs sont sous enquête. Le Ministère public a agi suite à une plainte pénale déposée en septembre 2013 par un client de longue date de Malca-Amit qui affirme que son diamant rose, évalué à environ 50 millions de dollars (45 millions de francs), lui a été subtilisé.
Cerveau
C’est en août 2007 que Sylla Moussa, citoyen sud-africain et guinéen, propriétaire d’une mine de diamants en République guinéenne, a déposé ce joyau de 50,66 carats auprès de Malca-Amit. La pierre reposait dans un dépôt au sein des Ports francs de l’aéroport de Cointrin – donc exempté des droits de douane et de la TVA - en attendant de trouver un acheteur au meilleur prix.
En août 2013, alors qu’il voulait voir son bien, Sylla Moussa a appris qu’il avait été transmis à une tierce personne. En l’occurrence, à un certain Zunaïd M., homme d’affaire sud-africain avec lequel il était en affaires et est désigné dans la plainte comme le cerveau probable de l’escroquerie.
"Je ne partirai pas sans mon diamant"
Selon le Sud-Africain, ce transfert s’est fait en violation flagrante d’un contrat de dépôt ("storage agreement" N° 301408) signé avec Malca-Amit le 16 août 2007. Ce document, versé à la plainte, stipule qu’il est le seul et unique propriétaire de la pierre. "Cela fait six mois que je suis à Genève et je ne repartirai pas tant que je n’aurais pas retrouvé mon diamant", explique Sylla Moussa qui opère principalement depuis Johannesburg avec sa société Sylla Diamond International (SDI).
Dans une réponse écrite à la RTS, l’avocat de Malca-Amit se défend de toute malversation. "Malca-Amit conteste entièrement les allégués de M. Moussa à son encontre. La société coopère pleinement avec les autorités, afin de dissiper tout doute quant à sa participation à un quelconque acte illicite", indique-t-il, ajoutant qu’il se réservait le droit de déposer à son tour une plainte pour "dénonciation calomnieuse".
"Faux grossier"
L’avocat fait valoir l’existence d’un contrat de dépôt ("storage agreement"), celui-ci daté du 8 août 2007 et qui prouverait que Sylla Moussa a retiré son diamant le 29 avril 2008, "en présence de témoins"! Ce document, dont la RTS a eu copie, porte le même code barre et numéro (N° 301408) que l’autre contrat de dépôt détenu par le diamantaire sud-africain et daté du 16 août 2007.
Sylla Moussa affirme qu’il s’agit "d’un faux grossier". "Je ne vois pas comment la même pierre aurait pu être déposée deux fois à deux dates différentes", fait-il valoir.
Casse-tête total
Le casse-tête est total. D’autant plus que la version de Malca-Amit est mise à mal par plusieurs documents, dont un mail daté du 22 janvier 2013. Dans ce courriel, son directeur, qui a aujourd’hui démissionné, écrit: "Par la présente, je confirme que Malca-Amit détient dans son dépôt en zone franche un diamant rose de 50,66 carats qui appartient à M. Sylla Moussa. La pierre est à disposition du lundi au vendredi de 8 heures à 17 heures."
Remous
L’avocat de Malca-Amit ne conteste pas l’existence de ce courriel, mais répond que "dans l’intérêt de la procédure en cours", il ne saurait "commenter des pièces précises".
Dans la profession, les ennuis de Malca-Amit, une société à la réputation jusqu’ici irréprochable, créent des remous. La justice suisse devra trancher.
Agathe Duparc/gax
Genève la diamantaire
Genève est aujourd’hui le deuxième centre diamantaire d’Europe après Anvers. Si la Suisse ne produit pas de diamant, elle est devenue l’une des plaques tournantes de ce commerce. Ses Ports francs jouent un rôle essentiel. Ils permettent de stocker les pierres précieuses déjà taillées sans payer de taxes jusqu’à ce qu’elles trouvent acheteur. Des lots de diamants bruts y transitent également. Ainsi exemptées de TVA, les sociétés diamantaires peuvent procéder au triage des pierres qui sont ensuite exportées vers différents centres de taillage.
Si les douaniers exigent la certification Kimberley d’importation, les lots sont très rarement ouverts et leur contenu inspecté. Ils ressortent ainsi estampillés avec le tampon "suisse" et la mention de leur provenance en amont est effacée.